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Full text of "Le tombeau de Theophile Gautier"

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\&l.Q.T. Il .^-)|^ 



LE TOm'BEçAU 



DE 



Théophile Gautier 



LE TOMBEAU 



Théophile Gautier 




T<iÂ\IS 



A L I' H O i\ s K (, r; M E R R E , E D i T K U R 
*7-»9, Pa»*ige Choiteui, »7-»^ 



H DCCC LXXllI 



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^•é. 



UMIVEB8ITY ^ 
25JUL1944 r 






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J 



dAU LEÇTEU\ 




HÉOPHILE GAUTÏER, 

mort le zS octo- 
bre i8j2, à Paris, 
laisse des livres d'une 
forme achevée et le 
souvenir d'une vie 
que le soin de l'Art a remplie tout en- 
tière. 

Nous avons eu la pensée de consacrer 
à la Mémoire de ce Maître un Monument 
littéraire renouvelé de ces Tombeaux que 



H AU LECTEUR. 

les Poètes du xvi* siècle élevaient à leurs 
Morts illustres. 

En des jours lointains, on sera touché 
sans doute, en feuilletant ce Livre, de voir 
que tant de Poètes, Français ou Etrangers, 
séparés d'habitudes, d'esprit et de langage, 
se sont réunis pour louer une existence 
paisible et une Œuvre exemplaire. 




l^ 




LE TOMBEAU 



Théophile Gautier 



Otf THÊOTHILE GaiUTIE<K 

■AVmi, po€(e, «prit, (n iiiis noire nuit noire. 

Tu sors de nos rumeurs pour entrer dans la gloire; 

Et désormais Ion nom rayonne aux purs sommets. 

Moi qui l'ai connu jeune et beau, moi qui t'aimais, 

Moi qui, plus d'une fois, dans nos altiers coups d'aile. 

Éperdu, m'appuyais sur ton âme fidèle, 

Moi, blanchi par les jours sur ma tète neigeant. 

Je me souviens des temps écoulés, et, songeant 



LE TOMBEAU 



A ce jeune passé qui vit nos deux aurores, 

A la lutte, à l'orage, aux arènes sonores, 

A Tart nouveau qui s'offre, au peuple criant Oui, 

J'écoute ce grand vent sublime évanoui. 

Fils de la Grèce antique et de la jeune France, 

Ton fier respect des morts fut rempli d'espérance; 

Jamais tu ne fermas les yeux à l'avenir. 

Mage à Thèbes, druide au pied du noir menhir, 

Flamine aux bords du Tibre, et brahme aux bords du Gange, 

Mettant sur l'arc du dieu la flèche de l'archange, 

D'Achille et de Roland hantant les deux chevets, 

Forgeur mystérieux et puissant, tu savais 

Tordre tous les rayons dans une seule flamme ; 

Le couchant rencontrait l'aurore dans ton âme ; 

Hier croisait Demain dans ton fécond cerveau ; 

Tu sacrais le vieil art, aïeul de l'art nouveau ; 

Tu comprenais qu'il faut, lorsqu'une âme inconnue 

Parle au peuple, envolée en éclairs dans la nue. 

L'écouter, l'accepter, Taimer, ouvrir les cœurs; 

Calme, tu dédaignais l'effort vil des moqueurs 

Ecumant sur Eschyle et bavant sur Shakspeare ; 

Tu savais que ce siècle a son air qu'il respire, 

Et que, l'art ne marchant qu'en se transfigurant, 

C'est embellir le beau que d'y joindre le grand. 

Et l'on t'a vu pousser d'illustres cris de joie 

Quand le drame a saisi Paris comme une proie. 

Quand l'antique hiver fut chassé par Floréal, 

Quand l'astre inattendu' du moderne idéal 



DE THEOPHILE GAUTIER. 3 

Est venu tout à coup, dans le ciel qui s'embrase. 
Luire ^ et quand 1* Hippogriffe a relayé Pégase I 

* 

Je te salue au seuil sévère du tombeau. 

Va chercher le vrai, toi qui sus trouver le beau. 

Monte Tàpre escalier. Du haut des sombres marches. 

Du noir pont de Tabime on entrevoit les arches ; 

Va! meurs 1 la dernière heure est le dernier degré. 

Pars, aigle, tu vas voir des gouffres à ton gré : 

Tu vas voir Tabsolu, le réel, le sublime. 

Tu vas sentir le vent sinistre de la cime 

Et l'éblouissement du prodige étemel. 

Ton olympe, tu vas le voir du haut du ciel, 

Tu vas, du haut du vrai, voir l'humaine chimère, 

Même celle de Job, même celle d'Homère, 

Ame, et du haut de Dieu tu vas voir Jehovah. 

Monte, esprit ! Grandis, plane, ouvre tes ailes, va ! 

Lorsqu'un vivant nous quitte, ému, je le contemple ; 

Car, entrer dans la mort, c'est entrer dans le temple ; 

Et quand un homme meurt, je vois distinctement 

Dans son ascension mon propre avènement. 

Ami, je sens du sort la sombre plénitude; 

J'ai commencé la mort par de la solitude. 

Je vois mon profond soir vaguement s'étoiler. 

Voici l'heure où je vais, aussi moi, m'en aller. 

Mon fil trop long frissonne et touche presque au glaive; 



LE TOMBEAU 



Le vent qui t'emporta doucement me soulève, 
Et je vais suivre ceux qui m'aimaient, moi banni. 
Leur œil fixe m'attire au fond de l'infini. 
J'y cours. Ne fermez pas la porte funéraire. 

Passons, car c'est la loi ; nul ne peut s'y soustraire ; 

Tout penche; et ce grand siècle avec tous ses rayons 

Entre en cette ombre immense où, pâles, nous fuyons. 

Oh ! quel farouche bruit font dans le crépuscule 

Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule ! 

Les chevaux de la Mort se mettent à hennir, 

Et sont joyeux, car l'âge éclatant va finir ; 

Ce siècle altier <im sut dompter le vent contraire 

Expire... — O Gautier, toi, leur égal et leur frère, 

Tu pars après Dumas, Lamartine et Musset. 

L'onde antique est tarie où l'on rajeunissait; 

Comme il n'est plus de Styx il n'est plus de Jouvence. 

Le dur faucheur avec sa large lame avance 

Pensif et pas à pas vers le reste du blé; 

C'est mon tour; et la nuit emplit mon œil troublé 

Qui, devinant, hélas, l'avenir des colombes. 

Pleure sur des berceaux et sourit à des tombes. 



VICTOR HUGO. 



Haute vitle-huase, nov. 187a. Jour des Morts. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 



Lq4 V^iylTVBJE CHEZ ELLE 



1 héophile Gautier, poëte 
Au vers éclatant et serein, 
Sut trouver la forme parfaite 
Qui g!t dans For et dans l'airain. 

Certe, il sut comment on travaille 
Un métal rebelle, et comment 
Le dur diamant ne se taille 
Qu'avec un autre diamant. 

11 fit tressaillir, A lyrisme ! 
Un clavier fait de pur cristal 

dont chaque touche est un prisme 
Où luit son rêve oriental. 

La ligne et la couleur du Verbe 
Vivent dans son rhythme sacré, 
Et c'est un poCte superbe 
Maîtrisant la Forme à son gré I 



LE TOMBEAU 



Si bien qu'ayant dépeint les choses 
Dont le contour fixe les yeux, 
Il voulut des métamorphoses 
Demander le secret aux Dieux. 

Il voulut dans la forêt sombre 
Où le vieux Dante s'égarait 
Entrer, et questionnant l'ombre, 
Apprendre ton rêve, ô forêt! 

Curieux, il voulut entendre, 
Quand ils chantent seuls, les oiseaux, 
Et, sous l'azur changeant, surprendre 
La vie errante au fond des eaux; 

Il entra dans la solitude 
Qui ne dérangea même pas 
Sa mystérieuse attitude 
Au bruit reconnu de son pas. 

L'arbre dit au chevreuil farouche : 
« Tu peux rester : c'est un ami... » 
La dryade, un doigt sur la bouche. 
Lui montra le &une endormi. 

Il vit la nature chez elle. 
Il fut attentif à ces bruits 
Qui, dans la vie universelle. 
Se mêlent au charme des nuits. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 



De mille êtres furtifs et vagues 
Il resta longtemps le témoiq ; 
Il écouta comme des vagues 
Les branches se bercer au loin ; 

Et, dédaigneux des impossibles, 
Calme et sûr, il vint aux vivants 
Dire les choses indicibles 
Que la forêt confie aux vents! 



JEc47C Q4ICc41i*D. 



8 LE TOMBEAU 



PIERROT 



SUllLoa TOéM'BE "DE TH. GolUTIEQl 



APPORTE SON HOMMAGE FVN&BRE 



Lorsque la dalle fut scellée, 
Et lorsque le dernier ami 
Eut quitté la funèbre allée 
Où rêve le maître endormi, 

Un rayon neigea sur les branches ; 
Et Pierrot, drapé d'un rideau, 
Parut entre les tombes blanches, 
Blanc et fluet comme un jet d'eau. 

Aussi désespérément blême 
Qu'aux jours où, posthume et muet, 
Son fantôme en deuil de lui-même 
A n*être plus s'habituait. 

Il ne parla pas; mais son geste 
Exprimait un amer souci; 
Un bouquet, blanc comme le reste, 
Tremblait à ses doigts blancs aussi ; 



DE THEOPHILE GAUTIER. 



Et son expressive mimique 
Avec les poses de rigueur, 
Disait, lamentable et comique, 
Les tristesses de son grand cœur. 

Soudain, étrange phénomène! 
Dans ce masque égoïste et blanc 
Se lut toute l'angoisse humaine. 
Une larme claire, en tremblant. 

Des cils à la fine narine 
Tomba sans secousse, et de là 
Sur le col poudré de farine 
Pour la première fois roula. 

Or, dans les cieux, une par une, 
Les étoiles ouvraient leurs yeux, 
Et Pierrot pleurait, et la lune 
Versait des pleurs silencieux. 



'PQ4UL (^"RE^CE, 



lo LE TOMBEAU 



THÉOTHILE G 04 UT I Eli 



C%ITIQUE T)*I{qAV4qA7IQIJE 



V-^^'était dans le théâtre où triomphe Clairville, 
Où Koning se révèle , où fleurit Siraudm , 
Entre le côté cour et le côté jardin. 
On jouait je ne sais quel pauvre vaudeville , 

Et , parmi les écarts d'une prose incivile 
Que n'aurait pas osé faire Monsieur Jourdain , 
Au grand esbattement d'un public très*mondain , 
Les calembourgs salés partaient en feux de file. 

Comme un bonze, enfoui dans sa stalle, Gautier, 
L'œil vague, paraissait absorbé tout entier 
Par la péripétie en surprises féconde; 

Mais, moi, je l'entendis se redire à mi-voix 

Ce vers mélancolique et qu'il fit autrefois : 

t Sommeil, dieu triste et doux, consolateur du monde! • 



qA%^q47CD T)*(i4*njOIS. 



DE THEOPHILE GAUTIER. ii 



Lq4 C0UmÈ1>I T>E Lq4 ^0%T 



L>^e la Mort, coume Dante, as escri la coumèdi, 
La coumèdi divino, estranjo ; e sens rémois, 
De la Vido amourous, calignères la Mort 
E, vivent, dins lou cros faguères toun acèdi. 

E tant que vers la masco ansin trouvères crèdi 
En paupant d'une man soun pitre sènso cor, 
De Tautro as caressa la Bèuta puro, amer 
Que de tout la Bèuta nous sèmblo lou remèdi. 

N'a jamai oublida que i'aviés fa la court; 
T'a 'spera cinquante an, la terriblo mestresso. 
Un vèspre de malur, sus soun chivau que cour 

Arribo à toun oustau... ni gl6ri ni tendresso 
L'arrestbn : c Eilavau ta Coumèdi es apresso, 
Lou ridèu es tira, vène, qu'es à toun tour ! • 



12 LE TOMBEAU 



cf THÉOTHILE GoéUTIE'K 



vJuand, aux beaux jours passés de la jeunesse folle, 
En costume galant tu sortais le matin ; 
Quand tu portais la fraise et la cape espagnole, 
Avec tes longs cheveux tombant sur le satin ; 

La dague au poing, le pied dans une botte molle, 
Quand, à peine affiranchi du grec et du latin. 
Tu cassais à grand bruit les vitres de l'école, 
Et riais de Boileau comme d'un Philistin; 

Fier comme un paladin et joyeux comme un page. 
Aux beaux soirs d'Hernani quand tu faisais tapage, 
Quand le mot de classique inspirait ton effroi ; 

Tu ne^ te doutais pas qu'un jour tu devais l'être; 
Car si ce mot veut dire un modèle, un vrai maître, 
Tu seras, cher Gautier, classique malgré toi ! 



DE THEOPHILE GAUTIER. ^3 



LES SMUSES q4U TOéM^BEo^U 



r rès de la pierre close 
Sous laquelle repose 
Théophile Gautier 
( Non tout entier, 

Car par son œuvre altière 
Ce dompteur de matière 
Est comme auparavant, 
Toujours vivant,) 

Regardsmt cette tombe 
De leurs yeux de colombe, 
Les Muses vont pleurant 
Et soupirant. 

Toutes se plaignent, celle 
Dont l'œil sombre étincelle 
Et qui réveille encor 
Le clairon d'or ; 



14 LE TOMBEAU 



Celle que le délire 
Effréné de la Lyre 
Livre aux yeux arrogants 
Des ouragans ; 

Celle qui rend docile 
La flûte de Sicile, 
El tire du roseau 

Des chants d'oiseau; 

Celle qui, dans son rêve 
Farouche, porte un glaive 
Frissonnant sur son âanc 
Taché de sang; 

Et celle qui se joue, 
Et, pour orner sa joue, 
Prend aux coteaux voisins 
Les noirs raisins; 

Et la plus intrépide, 
La Nymphe au pied rapide, 
Celle qui, sur les monts 
Où nous l'aimons, 

Par sa grâce savante 
Fait voir, Chanson vivante, 
Tous les Rhythmes dansants 
Et bondissants! 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 15 

Oui, toutes se lamentent 
Et pieusement chantent 
Dans l'ombre où leur ami 
S'est endormi. 

Car il n'en est pas une 
Qui n'ait eu la fortune 
D'obtenir à son tour 
Son âer amour; 

Pas une qu'en sa vie 
Il n'ait prise et ravie 
Par un chant immortel 
Empli de ciel ! 

Ses pas foulaient ta cime, 
Mont neigeux et sublime 
Où nul dieu sans eâroi 
Ne passe, et toi, 

Fontaine violette, 
Il a vu, ce poëte, 
Errer dans tes ravins 
Les chœurs divins 1 

Et toi, monstre qui passes 
A travers les espaces, 
Usant ton slbot sur 
Les cieux d'azur, 



i6 LE TOMBEAU 

Cheval aux ailes blanches 
Comme les avalanches I 
Tu prenais ton vol, l'œil 
Ivre d'orgueil, 

Quand sa main blanche et nue 
T'empoignait sous la nue, 
Ainsi que tu le veux, 
Par les cheveux. 

^ Mais, ô déesses pures, 
Ornez vos chevelures 
De couronnes de fleurs; 
Séchez vos pleurs! 

Car le divin poëte 
Que votre voix regrette 
Va sortir du tombeau, 
Joyeux et beau. 

Les Odes qu'il fit naître 
Lui redonneront l'être 
A leur tour, et feront 
Croître à son front 

Victorieux de l'ombre. 
L'illustre laurier sombre 
Que rien ne peut faner 
Ni profaner. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 17 



Toujours, parmi les hommes, 
Sur la terre où nous sommes 
Il restera vivant, 
Maître savant 



De rode cadencée, 
Et sa noble pensée 
Que notre âge adora, 
Joyeuse, aura, 

Pour voler sur les lèvres 
Que brûleront les fièvres 
De notre humanité. 
L'éternité I 



rHÉO'DO'RE 'DE *Bq4^VILLE. 



Jtudi 7 novembre 187a. 



3 



i8 LE TOMBEAU 



7lESSOUVE7s(iI1l 



\^ toi, Gautier! sage parmi les sages 

Aux regards éblouis, 
Toi, dont l'esprit vécut dans tous les âges 

Et dans tous les pays, 

Tu fus surtout un Grec, et tu contemples 

De tes yeux immortels 
Les purs profils harmonieux des temples 

Dans les bleus archipels. 

Tu les aimas, les doux porteurs de glaive 
Plus forts que la douleur. 

Et dans le rêve où bouillonnait la sève 
De ta pensée en fleur, 

Tu fus rapsode, et pour charmer les heures 

Chez les rois étrangers, 
Tu leur chantas dans les hautes demeures 

Achille aux pieds légers. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 19 

Tu modelas auprès ^e Polyclète, 

Car tu n'ignorais rien, 
Et tu sculptais des figures d'athlète 

Avec ce Dorien. 

Sur les gazons où rit la marguerite, 

Des Dieux même enviés, 
Ta claire enfiuice apprit de Thëocrite 

Les chansofts des bouviers. 

Avec Pindare aimant la sainte règle, 

Aux oiseleurs pareil, 
Tu fis monter les Odes au vol d'aigle 

Vers le rouge soleil, 

Et tu raillas avec Aristophane, 

Par des mots odieux. 
Le philosophe indocile et profane, 

Vil contempteur des Dieux. 

Et maintenant qu'avec des pleurs moroses. 

Tristes, nous nous plaignons, 
Tu reconnais sous les grands lauriers-roses 

Tes anciens compagnons. 

Pour que ta lèvre enfin se rassasie, 

Dans le festin charmant. 
Au milieu d'eux, tu goûtes l'ambroisie 

En causant longuement. 



ao LE TOMBEAU 



Auprès de toi le riant paysage 

Est fait comme tu veux, 
Et tu souris à côte de la sage 

Hélène aux beaux cheveux, 

Qui déchaîna Teffiroyable désastre 

Des guerriers et des rois, 
Et sa beauté resplendissante d'Astre, 

A présent, tu la vois ! 

THÉODOTiE 'DE 'Bc4V^V!LLE. 



DE THEOPHILE GAUTIER. ai 



V^EUE LEGEVSd'DE 



Lyer Herr der ewigen Schaaren 
Sitzt hoch auf goldenem Thron ; 
Vereint, harmonisch, in Paaren, 
Umstehen ihn Vater und Sohn. 

Der einst Homeros auf Erden 
Hxlt Beethoven an der Hand ; 
Shakespaere, Angelo, sie werden 
Mit einem Namen genannt. 

UmhUllt mit einem Gewande, 
An Raphaël, Mozart sich lehnt; 
Sie fesseln heilige Bande 
Der Seelen, die laêngst sich ersehnt. 

Dicht bei da Vinci steht Dante , 
Verklsrt! er Ischelt jetzt oft, 
Dass er einst, der Gottesgesandte, 
Menschen zu bessern gehofft. 



22 LE TOMBEAU 



Was je sich auf Erden geahnet, 
Was geistig im Innern verwandt, 
Dran unklar, doch glUhend gemahnet, 
Sich freudig, sich jauchzend hier fànd. 

Wer zshlte die einigen Geister, 
Die weilen im himmlischen Haus> 
Wie jauchzend sie preisen den Meister, 
Den Anblick, wer hielte ihn aus } 

Nur einer ist einsam, verlassen, 
Steht diister in Gram er gehullt ; 
Betrachtet voU Sehnsucht die Massen, 
Das Auge mit Thraenen gefUUt. 

Denn nur dem Geiste dem gleichen, 
Gesellt sich der gleiche zu ; 
Armer Cellinil erreichen 
Musst noch den Brudergeist du. 

Einst trat mit fragenden Worten 
Der Herr auf ihn zu : u Cellin, 
(( Wer weilte an himmlischen Orten, 
« Mit gramumdustôrtem Sinn) 

u Ist Himmel ein Erden geworden? 
« Drang trostlose Trauer hier ein^ 
« Was thxte die Freude dir mordent 
(( Was schafit dir so arge Pein > » 



DE THEOPHILE GAUTIER, 33 



— Herr mœgest in Gnaden gedenken 
a Der Zeit, als du heischtest von mir, 
« Der Erde auf Kurzem zn schenken 
« Den Sohri , ihr zur ewigen Zier. 

(( Ich that es, wie's aile einst thaten, 
(( Die wiedergeeinigt ich seh'; 
<( VerjUngt, aus geistigen Saaten , 
(( Erstand mein geliebter Gautier. 

• 

(( Ruhmvoll setzt fort er auf Erden, 
a Was ahnend ich einstens begann ; 
(( Krone und Lorbeer, siô werden 
u Gereicht dem erhabenen Mann ! 

<( Du sielut es oh Hemscher I nicht mehren 
« Kann Ruhm sich, den er dort fand , 
» Doch schmerzlich muss ich ihn entbehren, 
« Der einst mir zur Seite stand. 

« So gieb ihm was aile hier fanden : 
^( Unsterblichkeit ! WUrdiger Lohn I 
« Mach frei ihn von irdischen Banden — 
« Vereine uns^ Vater und Sohn. » 

Der Herr, mit gnasd ger Geberde, 
Winktrasch eînem Engel, hehr! 
(I Eile hinunter zur Erde, 
« Erfalle Cellini's Begehr. » 



\ 



34 LE TOMBEAU 



Der fàehrt wie Blitz, in die sieche^ 
Erbarmende Menschengruft, 
Zertheiiend die Modei^eriiche , 
Mit Balsamisch wurzigem Duft. 

Vor einem der traurigen Gneber, 
Stolz ((Haeuser» auf Erden genannt, 
Hxlt an der gesandte Beleber, 
Der wohl mi dem Orte bekannt. 

Eintritt er, Helle verdraenget 

Das Dunkel, das schwsrzet den Raum ; 

Gautier schlseft drinnen beenget, 

Er trasumet den irdischen Traum. 

Ahnt er die himmlische Nsehe^ 
Fiihlt frei sîch, leichter die Brust> 
Laschelnd, als ob er ihn sxhe, 
Bebt Wang' ihm und Auge, vor Lust. 

Der Engel betrachtet ihn lange, 
Nickt holde dann, als wie zum Gruss, 
Beriihrt ihm die Stirne, die bange, 
Und kttssst ihn mit zsrtiichem Kuss. 

Aufthut sich die ewige Pforte, 
Hervor tritt Gautier, stolz und kiihn ! 
Schon kennt er die himmlischen Orte, 
Stellt dicht zu Cellini sich hin. — 



DE THEOPHILE GAUTIER. 25 



* 



Drum gaben an jenem Morgen 
Wir Mutter Erde zuriick, 
Was sie dem Geiste that borgen : 
Die HUUe, — mit thraenendem Blick. 

Und schauten, von Wehmuth ergrifFen, 
Zur traurigen Sonne empor, 
Die unsere Schmerzen begrifFen, 
Sich einhUllt in nebligem Flor. 

Oh Sonne ! acht' nicht unsrer Qualen, 
Steig auf in die lachende Hœh I 
Vor Freude musst du jetzt strahlen, 
Du hast unsern Dichter Gautier! 



LVDWIG *BE7CEDIC7US, 



26 LE TOMBEAU 



UEV^SEVELISSESMEV^T 



VJqs gens en blouse, doux et forts; 
Sont venus apporter la bière. 
Elle est moins mesurée au corps 
Qu'à son volume de poussière. 

Mais que le chêne en est épais ! 
Au festin des vers quelle table! 
Qui donc prétend qu'on dort en paix 
Dans cette boite épouvantable P 

Est-ce là pour l'éternité 
Dans ce coâre étouffant et sombre 
Que ce graiid chasseur de clarté 
Sera couché, dévoré d'ombre? 

Lui, qui dans l'épaisseur des nuits 
Submergé de terreurs funèbres, 
Comme un aigle au profond d'un puits 
Disputait son rêve aux ténèbres. 



DE THEOPHILE GAUTIER. vf 

Pour la première fois qu'il dort 

En soixante ans de vie humaine, 

Il a bien le droit d'être mort 

Sans qu'on le cloue et qu'on l'emmène ! 

Comme son beau front de héros 
Fait face au ciel et le défie! 
II a les blancheurs du paros 
Et semble refléter sa vie! 

Pareille à du granit soyeux, 
Sa barbe a des reflets d'aurore 
Et sa bouche est moulée encore 
Sur un sourire de ses yeux; 

Ainsi qu'en ses fières estampes 
Qui nous le rendaient à vingt ans. 
Ses cheveux bouclés et flottants 
Naissent en gerbes de ses tempes, 

Et, séparés par le milieu. 
Ils marquent déjà le sillage 
De l'aile qui remporte à Dieu 
Cette âme éprise de voyage. 

A quel dieu ce front rafièrmi 
Ne fait-il pas encore envie? 
Est-ce un mort que cet endormi 
Qui se réveille de la vie? 



a8 LE TOMBEAU 



Que veut donc oë cercueil béante 
Et son vainqueur, qui le lui livret 
Qui jette en pâture au néant 
Celui que la Mort laisse vi\Te^ 

Vain combat I Nous ne verrons plus 
Cette face pâle et superbe, 
Qui déjà défiait le Verbe 
Dans le langage des Élus I 

Voilé! — Le drap encore ondoie! 
De la tête aux pieds un sillon 
Blanc se creuse! Le papillon 
Est cfos dans son cocon de soiel -r- 

Ils le soulèvent doucement 
Et, comme un glaive dans sa gaine, 
Le glissent dans ce vêtement 
Tissu des fibres d'un vieux chêne. 

D'un vieux chêne fort coinme lui, 
Comme lui fi*appé dans sa force 
Et dépouillé de son écorce 
Ainsi que lui de son ennui! 

Et quand dans une étreinte brève 
Cette tête a heurté ce bois, 
Crâne sans vie et bois sans sève 

4 

Ont sonné le vide à la fois. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 29 

Sous ce crâne de leurs mains froides 
Ils ont mis un oreiller blanc; 
De chaque côté, sur le flanc, 
Us ont ramené ses bras roides. 

O Mort, contemple ton soldat. 
Sur les rangs et xlans la tenue! 
Attendant la grande Revue 
Et le clairon de Josaphat ! 

Sur la poitrine qu'il consacre 
Un chapelet aux grains rivés 
Épand de sa grappe de nacre 
Le \in mystique des avés. 

Et, dernier présent d'une année 
Qui meurt, elle! pour refleurir, 
Une rose blanche et fanée 
Cherche son cœur pour y mourir!... — 

Et c'est tout! rhorreur est gravie ! 
Sur ce front deux fois dérobé. 
Porte suprême de la vie. 
L'épais couvercle est retombé. — 



EéMiLE 'BEliGE*t{Q4 7, 



2^ octobre 1872. 



30 LE TOMBEAU 



SOUVENIR 



T>U VIC^dGT'CIC^ad OCTO'B'BJE 



. . . Maladie de coeur, la maladie de ceux 
dont le génie palpite dans l'âme. 
* " Lamartine. 

lit chacun s'arrêtait, tous étaient attendris;. 

Et ces longs boulevards autour du grand Paris, 

Si déserts d'habitude et d'aspect monotone, 

Étaient, par ce jour gris et ce niatin d'automne, 

Vivants de tout un peuple ému qui saluait; 

Et de tous les côtés une foule afBuait, 

Et le passant disait se découvrant la tête : 

C'est plus qu'un grand, c'est plus qu'un roi, c'est un po&te ! 

Et recouvert de fleurs, pas à pas, lentement. 
Le char allait à ce repos : l'enterrement ! 

C'est un poëte ! ô perte irréparable et sombre ! 

Dans ce monde si trotible, hélas ! encore une ombre I 

O dernier soleil pâle, ô derniers chants des bois. 

Faites-lui vos adieux pour la dernière fois ! 

C'est un poëte! ô nuit après tant de lumière! 

O silence après tant d'allégresse première. 

Tant d'admirable azur, tant d'essor à pleins cieux, 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 31 



Eblouissements d'âme, enchantements des yeux, 

Sérénades, chansons, paysages, féeries. 

Et tant de gaieté simple et tant de causeries! 

En ce temps si lugubre et noir où nous vivons. 

Ce temps sans idéal, sans brises, sans rayons. 

Où Tœil humain hésite, où la raison se voile. 

Où dans le ciel fermé ne luit pas une étoile. 

C'est un deuil plus profond que tous ceux qu'on rêva 

Qu'une âme de poète accablé qui s'en val 

G vous les doux et fiers, assembleurs de nuages. 
Vous, habitants du rêve, ô vous les fous et sages, 
Qui dans ce monde laid épris de l'orijpeau 
Contents de n'être rien restez prêtres du beau. 
Et laissant s'agiter les passions nouvelles 
Demeurez serviteurs des choses éternelles, 
Ne rapportant jamais des marchés d'ici-bas 
Que l'âpre amour de tout ce qu'on n'y trouve pas 
La liberté, la paix, la dignité, l'étude, 
Et ce gain sans pareil : l'or de la Solitude ! 
O désintéressés, incurables songeurs, 
Ouvriers d'idéal, artistes, voyageurs, 
A cette âme lassée et qui nous abandonne 
Portez votre tendresse avec votre couronne I 

O dernier soleil pâle, ô derniers chants des bois, 
Faites-lui vos adieux pour la dernière fois! 

v34. iV. 'BLQ4t^CHEC077E. 



32 LE TOMBEAU 



STQ/lOSdCES 



Irils d'un siècle énervé qui de mélancolie 
Pleurait, comme un automne où meurt le son du cof , 
Il fit hardiment boire à la France pâlie 
Un grand coup de vin pur dans une coupe d'or. 

Il fut superbement triste, étant né poëte ; 

Et dans le prosaïque exil des feuilletons, 

Tel qu'Apollon paissant les troupeaux chez Admète, 

Dieu des hauts firmantents, il parqua les moutons. 

En lui s'enflait un hymne à la beauté du monde ! 
Des sentiments ap^ers sa Muse, en triomphant, 
Sortait, comme des flots salés la Vénus blonde. 
Et l'Amour la suivait, comme un aveugle enfant. 

Lumineux , chaud, fécond, plus que la clarté même, 
Vainqueur des ouragans, de l'ombre et des hivers. 
Intarissable éclat, sérénité suprême, 
Il ensoleillait tout dans ce morne univers. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 



33 



La Mort, chaufTant son vieux squelette en cette flamme, 
Vivait, se transformait, et splendeur sans défauts, 
Jeune déesse aussi coquette qu'une femme, 
En riant se mirait dans Tacier de sa faux. 

Ce n'était plus la Mort ; — la Proserpine antique, 
La cueilleuse de fleurs, qu'un Dieu sombre entraîna, 
Semblait ressuscitée, et du laurier mystique 
Couronnait le poëte au doux vallon d'Enna. 



34 LE TOMBEAU 



SOC^(it^ET 



jDeauteous as Venuses emeiging fresh 
From the calm ly-mph, wherein they lurk ail lone, 
Some thoughts there be, inadequately shown 
Except in Song their beauty we enflesh ; 

And such the sweet symphonious thoughts which press 
Round thee, great Théo, whom unknown rveknown, 
And loved most lovingly , whose faintest tone 

Prismatic dazes me with magie stress. 

So , Death at length hath ta'en thy hand : black Death 
With whom, when drunk with golden Light and joy, 
'T was thy quaint whim to dally, no wise coy, 

Death hath for true-love kissed thee, still whose breath 

Pipes the same tune for ever : — ■ iMjr repose 
Is more than sunshine — sweeter than the Rose! » 



WJLLl:i4i\f 'B0V^<?APq4T{7E-WYSE. 



DE THEOPHILE GAUTIER. ^j 



VIU^QGT-CIT^dQ^ OCTO'B%E 



JLa mort 1 avait surpris, il dormait solitaire, 
Pour la première fois sur sa tâche affaissé ; 
Tous ses rêves légers fuyaient son front austère 
Et son livre à ses pieds raidis avait glissé. 

Toujours les mêmes lois et le même mystère : 
L'homme, à Taube debout, le soir est terrassé ; 
Quatre planches qu'on cloue, une motte de terre, 
Une larme qui tombe ... et tout est effacé ! . . . 

Les abeilles venant de Grèce, leur patrie, 
Ne trouvant plus de miel sur sa lèvre flétrie. 
Bourdonnaient tristement et regrettaient leurs cieitx. 

Abeilles, butinez sur le livre qu'il laisse; 

Ses vers ont le parfum des fleurs de votre Grèce, 

Faites-y votre miel et le portez aux dieux. 

GEORGES 'BOUTELLEcyiU. 



36 LE TOMBEAU 



Q/1 THÉOTHILE Gq4UTIE{B^ 



IVloi, je dirai sa voix douce et si pénétrante!... 
Timbre d'or de Hugo, de Gérard de Nerval, 
De Rogier, de Stadler, de Houssaye et Dorval, 
De ce groupe d'amis que la Muse apparente. 

O douce voix!... soupir de flûte au fond du val! 
Écho de la syrinx, mélodie enivrante, 
Pour quel divin concert votre chœur sans rival 
A-t-il reçu le la de quelque Fée errante? 

Toujours jusqu'au tombeau, mon âme l'entendra 

— Tel un Brahmine écoute et croit entendre Indra — 

La chère voix, aux sons caressants et pareille 

Aux plaintives rumeurs des bois, quand vient le jour, 
A la Guzla qui pleure et chante un chant d'amour 
Lorsque la tribu dort et que l'amante veille. 



DE THIÉOPHILE GAUTIER. 



37 



mÉTESMTS Y COSES 



Sous les eaux, à cinq brasses profondes, ton pire est couché : 

Ses os en corail sont changés ; 

En perles est changé ce qui était ses yeux \ 

Rien de lui ne peut s'anéantir, 

Mais tout subira sa métamorphose 

En quelque chose de riche et de merveilleux. 

CLa chanson d'ÀrielJ 



c)i Tesprit ne meurt pas, mais retourne à Tesprit, 

Si les flots de la mort profonde, 
En roulant dans leur sein ceux que la mort surprit, 

Les emportent au fond d'un monde 

• 

Oii tout se fait plus beau, plus riche et merveilleux ; 

Maître, puisque ainsi rien n'arrête 
La course de notre âme ou du vent dans les cieux, 

Qu'es- tu maintenant, ô poëte } 

Toi qui créais, peux-tu continuer ailleurs 

Tes créations commencées > 
Sur une étoile d'or, verses-tu dans les fleurs, 

Pour les enflammer, tes pensées } 



38 L£ TOMBEAU 



Artiste heureux, fais-tu dans un coin de l'azur, 

Gouverné par ta fantaisie, 
Surgir une cité, toute de marbre pur 

Comme ta blanche poésie, 

Cité plus radieuse et mieux rhythmée encor 
Que Constantinople ou Venise, 

Où les yeux à jamais ivres de pourpre et d'or 
Ignoreront la couleur grise? 

Ou bien présides-tu, sous un autre soleil 
D'où sans fin coule Tharmonie, 

Un astre plus aimant, plus jeune, plus vermeil, 
Plus hospitalier au génie } 

Sur un monde idéal, maître, n'erres-tu pas 

Parmi de fières patriciennes. 
Belles, comme autrefois les voyaient ici-bas 

Les étoiles des nuits anciennes^ 

Car tu Tas mérité, cet éden inconnu, 

Ce paradis de belles formes. 
Songeur aux rêves purs, pour être ainsi venu 

Dans ce temps de laideurs énormes ! 

H. Cq4Zc4LIS, 



DE THEOPHILE GAUTIER. 39 



QéiMICUS QAShtlCO 



S 



i ton corps est dans le suaire, 
Ton esprit vivra dans les ans. 
J'ai vu ta chambre mortuaire, 
Tes deux filles pleurer dedans... 

Ce n'est plus qu'un lieu funéraire . 
Où tu recevais tes aimants; 
Hélas! adieu le sanctuaire! 
Se sont dit tous les assistants. 

Adieu, mon immense poëte, 
Plus grand art et plus noble tète 
Ne se verront pendant longtemps ; 

Et si j'ai peint un jour ta face, 

Tu fis la splendide préface 

De mon livre. — Un jour de printemps ! ! 

yiUGUSTE T)E CH^âTlLLO^Si. 



40 LE TOMBEAU 



04 u moiiT 



Moi, 



qui chante les bois, les prés, 
Dans ma rugueuse et rouge prose 
Où marchent les désespérés 
Au regard farouche et morose, 

J'aime tes vers si mesurés 
Qu'une lumière pure arrose 
De rayons d'or inaltérés, 
O grand poëte blanc et rose ! 

Triomphe en ce pays divin. 

Où ne germe ni blé ni vin, 

Que tu peuplas de tant de marbres, 

Toi qui me fais trahir les arbres 
Et déserter mon vert sentier, 
Peintre du Rêve, toi, Gautier! 



LÉOtSQ CLqA'DEL. 



DE TH£OPHIL)e: GAUTIER. 41 



7HÉ0THILE GoâUTIEl^^ 



\J n jour, dans un sonnet magique de splendeur 
Il peignit les contours de la fleur de Hollande, 
La tulipe superbe, altière, droite et grande. 
Plus hautaine qu'un lis — belle mais sans odeur. 

Fière, et se blasonnant, or avec pourpre en bande. 
Sa poésie était semblable à cette fleur, 
Mais, tulipe embaumée où se cachait un pleur. 
Elle avait le parfum exquis de :1a lavande. 

Turc d'Athènes flânant sur notre boulevard, 
Rimeur oriental et chercheur de hasard. 
Lui, fils de Rabelais qui chérissait Homère, 

Il errait, poursuivant, fidèle à tous ses dieux, 

La beauté — strophe ardente ou marbre radieux, - 

Où coulât le sang pur de la Gaule, sa mère ! 

JULES CLoâ'RE'nF.. 



42 LE TOMBEAU 



THÉOTHILE Gq4UTIE1{^ 



24 ISM<24ILIq4 



V^uand Timmense décor de ces milliers de tentes^ 
Qu'Ismaïlia naissante au désert déroula, 
Nous apparut, sculpté sur tfois zones flottantes 
D*or, de pourpre et d'azur! — son œil étinoela. 

Au signal du canon, les foules haletantes, 
Pour voir passer des rois se ruaient ce jour-là. 
Bonds sauvages, suivis de stupides attentes. 
J'allai vers lui, pensant : Le vrai roi, le voilà ! 

Songeur, il caressait le cou d'un dromadaire; 

Avec ce parler lent que le rêve modère. 

Il me dit : « On voudrait peindre en vers ce tableau : 

K Noces de mer, jeux africains, pompe d'Asie... » 
— Oui,, mais j'en chasserais ces rois sans poésie, 
Pour n'y voir acclamé que vous seul , dieu du Beau ! » 

LOUISE COl.ET. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 4j 



THÉOTHILE Gq4UTIE%, 



ELEGI24QPE 



M 



aitre, Ten vieux n'a pu satisifaire 
Sur toi son cruel et lâche désir. 
Ton nom restera pareil à la sphère, 
Qui n'a pas de point par où la saisir. 

Pourtant il fallait nier quelque chose 
A l'œuvre parfaite où tu mis ton sceau. 
Splendeur et parfum, c'est trop pour la rose, 
Ailes et chanson, c'est trop pour l'oiseau. 

Ils ont dit : Ces vers sont trop purs. Le mètre, 
La rime et le style y sont sans défauts. 
C'en est fait de l'art qui consiste à mettre 
Une émotion sincère en vers faux. 

Tu leur prodiguais tes odes nouvelles, 
Embaumant l'Avril et couleur du ciel. 
Eux, ils répétaient : Ces fleurs sont trop belles , 
Tout cela doit être artificiel. 



44 



LE TOMBEAU 



Et poussant bien fort de longs cris d'alarmes, 
Ils t'ont refusé blessure et tourments, 
Parce que ton sang, parce que tes larmes 
Étaient des rubis et des diamants. 

L'artiste grandit, la critique tombe. 
Mais nous, tes fervents, ô maître vainqueur ! 
Nous voulons écrire aux murs de ta tombe. 
Que ton clair génie eut aussi du cœur. 

Nous savons le coin où se réfugie. 
Sous les fleurs de pourpre et d'or enfoui, 
Le parfum discret de ton élégie, 
Bleu myosotis frais épanoui. 




Oui, nous l'envions, ce spectre de rose 
Sur un jeune sein morte un soir de bal; 
Et notre tristesse est souvent éclose 
En nous rappelant l'air du carnaval. 

Nous avons aussi perdu notre amante, 
Nous l'avons poussé, ce soupir amer 
Du pêcheur qui souffre et qui se lamente, 
Seul et sans amour, d'aller sur la mer. 

Celle que tout bas tu nommes petite, 
Celle à qui tu dis : Le monde est méchant, 
Nous a bien prouvé, l'enfant hypocrite. 
Qu'elle avait un cœur, en nous trahissant. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 45 

De ses yeux d'azur la larme tombée, 
Diamant du cœur par ta main serti, 
Nous Tavons tous bue, à la dérobée. 
Sur un billet doux qui nous a menti. 

Et sur les joujoux laissés par la morte, 
Aujourd'hui muets et si gais jadis, 
Nous prions encor pour que Dieu supporte 
Le bruit des enfants dans le paradis. 



LE TOMBEAU 



04 THÉOTHILE G Ce UT I Eli 



H 



on : L'ouragan qui traîne après lui tant de pertes, 
Ni la mort qui le suit en préparant ses coups, 
O France, ne pourront te jeter à genoux; 
Tes flammes, par leurs soins, ne seront pas couvertes. 

Ton sang fécondera, dans les plaines désertes. 
D'abondantes moissons aux bienfaits les plus doux ; 
En vain t'enchaîneraient les barbares jaloux. 
Tes entrailles toujours demeurent entr'ouvertes. 

Celui que nous pleurons, dans ta mâle vertu 

T'admirait; il est mort par ta peine abattu; 

Tant est plein, ton amour, d'une puissance occulte ! 

Mais lorsqu'un de tes fils, ô France, disparait. 

Le progrès indécis subit un long arrêt ; 

A tes héros tombés le monde doit son culte! 



E. C07{Ti<yl, 



DE THEOPHILE GAUTIER. 47 



QU040^T) IL ÉT04IT ÉCOLIE%, 



^on père nous disait: a Théophile travaille, 
Mais à sa fantaisie, à son heure, en son lieu : 
Sous la règle scolaire il se range assez peu, 

Et, quand on Vy contraint, il ne fait rien qui vaille. 

« 

« Donc, je le laisse libre ; et maint pédant me raille 
De ce que |e le gâte et joue un si gros jeu... 
N'importe! qu'il fleurisse au soufHe du bon Dieu! 
Dans le moule banal je ne veux pas qu'il aille!... » 

O père de Gautier, mon vieux chef à TOctroi, 

Je te l'avais prédit que ton fils serait roi ! 

Ta méthode était bonne, et l'autre détestable. .. 

Prosateur, et poëte aux rhythmes souverains, 
Encor qu'il ait été romantique à tous crins. 
Il n'imita personne, et reste inimitable. 



4i LE TOMBEAU 



S>4CmSiâLE 



o, 



mer le monde avec son corps, avec son âme, 
Être aussi beau qu'on peut dans nos sombres milieux, 
Dire haut ce qu'on rêve et qu*on aime le mieux, 
C'est le devoir, pour tout Homme et pour toute Femme. 

Seuls, les déshérités du ciel, qui n'ont ni flamme 
Sous le front, ni rayons attirants dans les yeux, 
S'efTarant de tes bonds. Lion insoucieux, 
Ten voulaient. Mais le vent moqueur a pris leur blâme. 

La splendeur de ta vie, et tes vers scintillants 
Te défendent, ainsi que les treize volants 
Gardent rose, dans leurs froufrous, ta Moribonde. 

Elle et toi, jeunes, beaux, pour ceux qui t'auront lu, 
Vous vivrez. C'est le prix de quiconque a voulu 
Avec son corps, avet son âme, orner le monde. 



DE THEOPHILE- GAUTIER. 



cA THÉOTHILE Gc4UTIE1i^ 



r eintre des rives rutilances, 
Grand estampeur de vers nacrés, 
Doux enchanteur qui nous balances 
Parmi les lîrmaments dorés, 

Chantre des chaades indolences, 
Barde des amants abhorrés 
Pour leurs fougueuses violences, 
Mais par ton art transfigurés ; . 

Loin de ce monde ridicule, 
Au sein de l'Éther flamboyant 
Qu'aocune tache ne macule 

Tu te dérobes souriant. 

Et comme un soleil d'Orient 

Tu te couches sans crépuscule. 

G. 'DiA'RPES^JY. 



$0 LE TOMBEAU 



L'Q/IVJ 



/\ vingt ans, le Poëte, enivré de sa force, 
Jette d'un front joyeux l'exorbitant éclat, 
Et pour les voluptés viriles du combat 
Sculpte Tor d'un kandgiar superbe à lame torse. 

Mais la sève fougueuse assouplit son écorcç; 
Sur les tentes la paix glorieuse s'abat; — 
Au-dessus de la Mort en fête et du Sabbat 
Vénus calme déploie en souriant son torse. 

Comme un riche platane élargi dans le ciel, 
L'Artiste rêve ; il suit dans la forme des choses 
L'harmonieux dessein de leurs métempsycoses; 

Et dans son culte il règne et repose, immortd... 

O visibilité- de Dieu, Beauté suprême. 

Tu n'as pas besoin d'âme, étant l'âme elle-même. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 



tai C03\iÉl>IE TiE Lca SMOItjr 



\^ Mort, dont Théophile a peint la comédie, 
As-tu tranché ses jours assez cruellement) 
Son puissant cœur lutta contre la maladie ; 
Sa verve se jouait de (on acharnement. 

Tu le voulais punir de son œuvre applaudie; 
Mais la gloire l'avait adopté pour amant. 
Le cygne inanimé laisse sa mélodie : 
L'écho répand les vers du poëte dormant. 

Ton triomphe est manqué, reine des catacombes! 
Le sien dure : il a dit ton métier dans les tombes; 
Nul peintre n'a rendu, mieux que lui, ta laideur. 

Ta ÙMXy en le frappant, l'a sculpté Commandeur; 
Sa figure à jamais resplendit belle et grande! 
Il a &it ton histoire, et tu ^is sa légende. 

'P'S.OSTE'R DEL'ylMtA'R.E. 



5a LE TOMBEAU 



Toilette ^oaciQUE 



« Peinture, la rivale et l'égale de Dieu ! » 

Th. Gautibr fAlberUuJ. 



.o 



ù donc r^s-tu trouvé ce bijou poétique? 
Aux bords de la Neva, froid reptile apathique, 
Ou dans TEscurial, géant bastionné> 
Réponds, mort immortel de myrte couronné. 

— Par une nuit d'argent, fluide et magnétique, 
Sur les degrés moirés d'un harem fantastique, 
La Périy dont Toeil noir s'ombrage de henné. 
Pâmée en un baiser d'amour, me Ta donné. » 

Vous l'entendez, sculpteurs. — Dans un groupe d'aimées, 
Enlacez de son nom les syllabes aimées, 
Et brodez sa palette au iront du monument : 

La couleur n'eut jamais de plus fidèle amant, 
Car il fait voir aux yeux ce que Tàme veut lire. 
Et sa plume, en peignant, chante comme une lyre. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 53 



SGéLUT FUT^E'BV^E 



dalut à toi, du fond de la vie éphémère, 

Salut à toi qui vis dans Timmortalité 

Où près de Gœthe assis tu contemples Homère ! 

Salut ! Tu fus Tamant de la pure beauté I 

Et dans ton cœur vibrant sous d'augustes présages 

Tu lui bâtis d'avance un palais enchanté ! 

Jeune Grec exilé dans la laideur des âges 
Tu te ressouvenais, en pleurant les retards 
De la beauté qui fait se lever les vieux sages ! 

Songeur mélancolique en nos siècles bâtards. 
Frère de Phidias, tu chantas loin d'Athènes, 
Mélodieux martyr des confus avatars ! 

Salut ! Tu fîis l'amant des chimères lointaines ! 

Et tes yeux clairs cherchaient dans nos fleuves fangeux 

Le reflet dont jadis ont frémi les fontaines t 



54 LE TOMBEAU 



Les Olympes toujours ont nos désirs pour jeux ! 
Mais tu fus le croyant qui voulut toujours croire, 
A travers le bruit vain des peuples orageux. 

Et c'est pourquoi d'en bas nous saluons ta gloire 
Et ton rêve vainqueur de Tennui meurtrier, 
Triomphal invité du Temple de Victoire! 

Entres-y, le front ceint du vivace laurier, 

Toi qui, 'sachant n'aimer que la beauté parfaite, 

Tout jeune sus la peindre en parfait ouvrier ! 

Après t'avoir pleuré, les Muses te font fète. 

Nostalgique chanteur, du seul paros épris. 

Doux comme un revenant, calme comme un prophète ! 

Prêtre tardif, gardien du culte désappris. 
Tu détournas ton cœur des idoles grossières. 
Le gardant à l'idole impeccable pour prix. 

Honneur à toi parmi les gloires devancières ! 
Et plus haut par l'oubli des illustres d'un jour, 
Tu verras s'écrouler leurs autels de poussières. 

Ils t'ont pris par la main ceux-*là qui, tour à tour. 
Du bout d'un burin d'or nous gravant leur pensée, 
Ont de l'œuvre divine épuré le contour. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 55 



Reçois de fils pieux la couronne tressée 
Pour ceux qu'illuminait un éclair idéal 
Dont leur âme en naissant fièrement fut blessée. 

Siège, esprit lumineux, au Temple sidéral ! 
Lèvre attique parlant de suprême harmonie, 
Étanche enfin ta soif dans un nectar lustral ! 



La suprême beauté loin de nous est bannie ! 
Mais nous la revoyons dans le miroir de l'art, 
Depuis que le Rapsode erra dans Tlonie. 

Salut I Tu peux parler d'Hélène au grand Vieillard. 



LEOV^ 'DIE'KX. 



$6 LE TOMBEAU 



UT^E LotlimE 'DE GISELLE 



S 



ur le cercueil, couché dans le fond de la tombe, 
On entend résonner la terre qui retombe 
A temps égaux. Le prêtre a fermé son psautier. 
La France pleure, en deuil, Théophile Gautier. 



La foule défila sous un ciel froid d'octobre. 
Et je rentrai chez moi. Le jour grisâtre et sobre 
Allongeait, en tombant, l'ombre sur le tapis. 
A la chaleur du feu, rêveur, je m'assoupis. 
Mon foyer s'agrandit : le chambranle de Tâtre 
S'ouvrit comme la baie immense d'un théâtre, 
Les bûches se changeaient en chênes, en bouleaux, 
En saules rabougris, en trembles, en roseaux. 
La lune au ciel brillait. La braise incandescente 
. Imitait d'un étang la nappe miroitante 
Oui de grands nénuphars découpaient des cœurs noirs. 
L'air était vaporeux comme il est aux beaux soirs. 
Et soudain les Willis, danseuses fanatiques. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 57 

Apparurent valsant leurs valses fantastiques ; 
Puis leur reine Myrtha de son sceptre de fleurs 
Frappa le pied d'un saule aux verdàtres pâleurs. 
Et l'ombre de Giselle aussitôt de la terre 
Jaillit. Elle portait une tristesse austère 
Empreinte sur ses traits contractés et pâlis» 
De légers voiles noirs, de leurs funèbres plis, 
Enveloppaient son front baigné des lueurs blondes 
Que la lune versait en abondantes ondes. 
Dans ses yeux fraisés d'or une larme perla, 
Grossit, brûlante, amère, et lentement roula 
Sur Turne que tenait sa main blanche et petite. 
Le bronze au même instant se fendille, crépite. 
Eclate, et de ses flancs une flamme bondit. 
Le zénith empourpré rayonne, resplendit. 
Et l'âme de Gautier, lumineuse et sereine. 
Monte, et vole chercher sa couronne de reine 
Dans les pays brillants où s'incarne le Beau ! 



Je m'éveillai, sans feu, sous le froid du tombeau. 



F'R^DÉ'BJC DILLQ4 YE. 



8 



;8 LE TOMBEAU 



IL U^'EST T&tS mOHJ 



J 



e ne suis pas la fleur; mais son parfum m'enivre. 
Je ne suis pas l'oiseau ; mais ) 'écoute sa voix. 
Je ne suis pas l'Echo qui se plaint dans les boi^; 
Mais mon cc^r lui répond; mon âoie aime à k suivre. 

Poètes d'aujourd*hui, Poètes d'autrefois 
Comme un adorateur du bel art qui fait vivre 
Si je me suis inscrit, c'est sur un autre livre; 
Mais je monte avec vous le chemin de la «roix ! 

Ce luth, tombé du ciel pour enchanter la terre, 
Je crois l'entendre encor, quand il semble se taire ; 
Il frémit sous le marbre... Une harmonie en sort. 

C'est sa voix !.. . Laissons-nous charmer par tant de charmes . 
L'ami que nous pleurions ne veut plus de nos larmes : 
Il revit dans ses vers; il chante !... Il n'est pas morti 

CcâiMlLLE DOUCET. 



DE THEOPHILE GAUTIER. $9 



VOX HU&ilLIS 



G 



Gautier, tu le disais : dans leurs tentures blanches 
Quand les morts sont couchés, leurs membres sont bien froids, 
Mais leurs cœurs restent chauds; et, tristes, quelquefois 
Ils viennent écouter aux fentes de leurs planches. 

Eh bien ! écoute-nous, car nos larmes sont franches 
Et les sanglots sont vrais qui déchirent nos voix; / 
A ton bûcher funèbre, ô Gautier, tu le vois, 
Même les plus petits ont apporta des branches. 

Et toi, dont il chantait les ténébreux appas, 
O Mort, sois-lui bénigne, et ne refuse pas 
Au poëte impeccable une paisible couche, 

Où, comme un soir la Reine à son poëte aimé, 

Les mortes par amour poseront sur sa bouche 

• 

L'hommage doux et pur d'un baiser parfumé. 



6o LE TOMBEAU 



LE "BUCHEŒl 



r rêtre des anciens dîeux, fils de la vieille Attique, 

Tu n'as jamais aimé le squelette gothique, 

Et Tart plus consolant des Païens t'était cher 

Voilant les os hideux des splendeurs de la chair. 

Pourtant sur ton front pâle on a cloué la bière, 

Poëte, et dans le noir gazon du cimetière, 

Sous^e balancement des longs cyprès en deuil, 

On a profondément enfoui le cercueil : 

Et nos cœurs étaient pleins d'une tristesse amère. 

Va, nous aurions voulu vers la Grèce ta mère 

Temporter, ô doux maître, et, disciples pieux. 

Te dresser sous l'azur un bûcher glorieux. 

La flamme aurait rougi les vastes mers lointaines ; 

Debout sur son tillac, le matelot d'Athènes 

Aurait pu voir, pensif, dans la tiédeur du soir, 

Pareils à la vapeur fine d'un encensoir, 

Ou bien à la fumée au loin d'un feu de pâtres, 

Monter, clairs et légers, les volutes bleuâtres. 

A l'aube nous aurions longtemps suivi des yeux 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 6i 



Le suprême flocon envolé vers les qeux, 

Puis, récolteurs émus de tes cendres chéries, 

Traversant les vallons en longues théories, 

Nous aurions déposé l'urne de marbre blanc 

Au bord d'un fleuve bleu sous les branches tremblant. 

Dans le Paros, parmi les festons de l'acanthe. 

L'art aurait évoqué le faune et la bacchante 

Et les divinités indulgentes des bois ; 

Chœur dansant, visions exquises d'autrefois ; 

Et les buissons fleuris seraient pleins de colombes. 

Car leur frêle blancheur est douce auprès des tombés. 

Dans ce bois consacré ton esprit souverain, 

Poëte, aurait plané sur le marbre serein, 

Et lorsque, le cœur las des hommes et des choses. 

Nous t'aurions visité parmi tes lauriers-roses. 

Pèlerins consolés, nous aurions bu souvent 

Un peu de ta grande âme éparse dans le vent I 

TlETiTlP ELZÉQ471 



6» LE TOMBEAU 



THÉOPHILE GQ/iUTrE<ll 



Non, 



il n'est pas éteint ce foyer dont la flamme 
Épandit ses rayons sur le monde charme : 
Rien ne le ternirai, ce laurier renommé; 
Rien ne la brisera^ cette vaillante lame. 

La Mort yint:sur ta làvtet, ô Poëte acclamé, 
Poser furtivement son précieux dictame; 
Délivré maintenant, maintenant transformé, 
Tu. peux boire à longs traits l'idéal de ton âme. 

Vers le Gange sacré s'envole ton essor; 
Ami du clair soleil et des nuits constellées, 
Tu traverses Téther dans un nuage d*or... 

A tes yeux, à ton cœur les Sphères déroulées 
Vont livrer des couleurs et des strophes ailées... 
Dans l'infini des temps tu chantersfs encor. 

(yÊLFUED 'DES ESS<i41iTS. 



DE THEOPHILE GA.UTIER. 63 



vm 



vJu'on proclame l'Aède éternisé parmi 
Les maîtres du grand Art radieux et prospère, 
J'adorerai Celui dont i} fut dit : < le Père • 
Et dont nou9 dÎHPas, fil^ r^ipt^ctueni; : p l'Ami, " 

Mâle raison, courage ^rdcmme^t i^^tmi^ 
Qui, de rares vertus îmmuabjl/e memplaûrç. 
Vint emhrz^mt Pari$ 4an$ la ch«,nçe contuaire, 
Et ne sut ni Vouloir ni souârir à de/Qdi ; 

Être indulgent et bo^, 60ulevant le$ poët9l> . 
Tel qu'on voit Apollon sur un socJe roimin 
Tenir un petit dieu d'ivoire dans $a main, 

Et qui, plein de pudeur en ses fiertés muettes, 
Voilait discrètement, hormis pour notre choeur, 
Le plus beau, le plus pur des diamants, son cœur! 

EiM^Q47^UEL DES ESS<i4%7S. 



64 LE TOMSEAU 



04 THÉOTHILE G 04 UT I Eli 



I 



I est parti, le Maître aimé, 
Vers ce grand là-bas qu'on ignore, 
Aux yeux vivants séjour fermé. 
Nuit sombre, ou lumineuse aurore? 

Vers ce grand pays inconnu, 
Si loin et si proche du nôtre. 
Où tous s'en vont l'un après l'autre, 
Et d'où pas un n'est revenu. 

Il est parti, plein de courage, 
Souriant, à peine songeur, 
L'infatigable voyageur, 
Parti pour le dernier voyage! 

A cette heur il a soulevé 
Le voile du profond mystère : 
Il connaît le sort réservé 
A l'homme au sortir de la terre; 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 65 

Oà les âmes vont, il le sait. 

Où le cœur lassé se repose, 

Et — quand nous le pleurons — il cause 

Avec Lamartine et Musset I 

Ne nous diras-tu point, poëte, 
Ce qu'on voit, franchi le grand pas } 
Ce voyage, lyre muette, 
Ne nous le conteras-tu pas? 

Sous les couleurs étincelantes 
Dont ta palette eut le secret, 
Divin Maître, que ce serait 
Plein de charmes, et d'épouvantes! 

Tu dirais si le ciel est pur, 

La plaine humide de rosées. 

Si le Styx est noir ou d'azur. 

S'ils sont verts les Champs Elysées ; 

Quel batelier c'est que Caron, 
Et comment Minos délibère^ 
Tu nous montrerais TAchéron, 
Et les trois tètes de Cerbère! 

Tu dirais s'il est des damnés 
Plongés dans la fournaise ardente, 
Ou s'ils ne sont qu'imaginés 
Les cycles effrayants de Dante? 

9 



66 LE TOMBEAU 



Enfers païens ou ciel chrétien^ 
Sous la terre ou dans les étoiles, 
Que tu nous peindrais de ces toiles, 
Maître, que tu peignais si bien ! 

Regrets stériles ! — C'est dommage, 
Mais on n'écrit point de là-bas. 
Et c'est, las ! ton plus beau voyage 
Que tu ne nous rediras pas ! 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 67 



q4 THÉOTHILE GQ4UTIE11 



i endant ces mois maudits, amers au souvenir, 
Où Paris haletant fut séparé du monde, 
Sous les lâches boulets foudroyant à la ronde^ 
Poë'te, tu marchas jusqu'au bout sans faiblir. 

Mais, au seuil des maisons lorsque tu vis venir 
Nos ennemis, on dit qu'à ce contact immonde, 
Ton âme frissonna d'une angoisse profonde 
Et ton corps défaillit... Tu savais donc souârir! 

Belle Muse sereine, aux formes magnifiques 
Comme le marbre exquis des Vénus helléniques. 
Libre et sonore voix de l'Art pur et du Beau, 

.Esprit charmant et bon, si prompt à l'indulgence, 
Que la plainte sur toi tombe avec abondance ! 
Tu n'étais pas, hélas! mûr pour l'affreux tombeau. 

EUE FOU%ÈS. 



68 LE TOMBEAU 



q4U TOÈTE. 



G: 



Gautier, doux enchanteur à la parole fière, 
Habile à susciter lés contours précieux 
Des apparitions qui flottaient dans tes yeux , 
Tu fis avec bonté ton œuvre de lumière. 

Le royal talisman , le prompt évocateur , 
Le Verbe arma ta bouche abondante en images ; 
Mieux que l'anneau mystique et la verge des Mages 
La parole servit ton vouloir créateur. 

La parole est divine et contient toutes choses. 
Heureux qui, pour fixer son rêve intérieur, 
Employa sans faillir la forme et la lueur 
Dans le cristal des sons fatalement encloses ! 

Heureux qui fit couler , à flots , de son pressoir , 
Comme un vin d'Engaddi , les mots dont on s'enivre , 
Et qui, pour célébrer le triomphe de vivre, 
De rhythmes parfumés remplit son encensoir. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 69 

Heureux qui, comme Adam, entre les quatre fleuves, 
Sut nommer par leur nom les choses qu'il sut voir. 
Et de qui l'écriture est un puissant miroir 
Fidèle à les garder immortellement neuves ! 

Car après que cet homme a fini ses travaux , 
Et que les belles mains dé la Tristesse calme 
Ont posé fermement la couronne et la palme 
Sur sa bière livrée aux lents et noirs chevaux , 

Il vît épars en nous sur la terre chérie; 
Son essence, à nos yeux charmés, en songes clairs. 
En chastes visions, dans la douceur des airs 
Flotte, et l'heure présente en est toute fleurie. 

Il se mêle, subtil, au jour que nous voyons 
Et vient nous affranchir du temps et de l'espace; 
Un frisson glorieux saisit nos cœurs où passe 
Son âme dispersée en ses créations. 

Son souffle sibyllin autour de nous fait naître 
Un astre enchanté, plein de suaves couleurs. 
De parfums, de regards, de sourires, de pleurs, 
Et multiplie en nous la joie inmiense d'être. 

Que pour nous l'univers se baigne tout entier 
Des effluves charmants de la pensée humaine ! 
Que sur tous les chemins où le destin nous mène 
Tes apparitions se lèvent, ô Gautier ! 



70 LE TOxMBEAU 



LE SMQ4GICIEt?>(i 



Fier et beau comme un fils d'Hellas, terre des Dieux, 
Secouant au soleil sa large chevelure, 
Jeune, et Tâme superbe encor plus que l'allure. 
Quand II voulut vous rendre à la splendeur des cieux, 

Arts livrés aux corbeaux, dont le bec odieux 
N'avait rien épargné de la chaude nature 
Et du sang qui te fait une pourpre, ô Peinture, 
Avec la chair vermeille, enchantement des yeux, 

<( Va! cria dans l'aurore un génie, et réclame 
Au Giorgione, à Rubens, au Lorrain, à Goya, 
Leur palette où la vie intense flamboya! )i 

Or, Il saisit la plume au flot noir : mais la flamme 
Jaillit de l'encre... et. Maître aux doigts ensorceleurs, 
En assemblant des mots II créait des couleurs ! 



FÉLIX F'Rfl4tfCK 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 71 



Q4VE immoiiTQâus 



OdO'B^nURUS TE Sq4LU7q47 



E 



in heiliger Schauer erfasst mich, durchdringt mich, 
Wenn deiner ich, Dichterfurst, auch nur gedenke ; 
Bewunderung reizt mich, Begeisterung zwingt mich, 
Dir gleich einem Gotte zu bringen Geschenke. 

Doch was kann ich bieten dem Geist ohne Tadel, 
Dem schon sein Jahrhundert die Palme geboten> 
Und wass dem Poeten voll Reinheit und Adel, 
Der nur als Unsterblicher kam zu den Todten > 

So viel als der sterbensbereiteste Fechter, 
Dem Csesar, dess Blick auf îhn wirkt noch yerderblicher, 
Als die Lanze des Gegners, der Menge Gelsechter : 
Eh 'ich verscheide, den Gruss dir, Unsterblicher. 



K«5V<SVe^C\;r7EL GloâSE'Hj 



73 LE TOMBEAU 



LES FUNÉRAILLES 



"DE THÉOTHILE GoAUTIEV^ 



E 



h bien! monde affairé, monde brutal, qu'assomme 
Uldéal et qui, plus que la bête de somme, 
Penches stupidement ton front vers le trottoir, 
Toi qui ne connais rien au-dessus du comptoir, 
O monde positif qui prends des airs moroses 
Si l'on vient à nommer les amoureux des roses. 
Allons! ouvre les yeux et vois donc aujourd'hui 
Le vide affreux que laisse un poè'te après lui ! 

Regarde ce cortège immense, cette escorte 

Qu'éblouit le reflet de la dépouille morte 

Etendue et fermant les yeux dans le cercueil. 

Pas de faux airs émus. Vois! C'est bien un vrai deuil, 

Et tout ce que Paris compte d'illustre, austère. 

Frissonnant, est venu pour voir rendre à la terre 

Cette argile pétrie autrefois par un dieu 1 

Et pourtant ce n'est point un homme de haut lieu. 

Un prince, un gros bonnet de la finance, un être 

Qu'un trône voit mourir, ainsi qu'il l'a vu naître. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 73 

Ce défunt qu'une foule entoure avec amour. 
Jamais tu ne le vis au coin d'un carrefour 
Appeler les passants, « faire de la réclame ! » 
Nonl C'était un poëte épanchant sa belle. âme 
En magnifiques vers, purement, simplement, 
Chantant le lis candide et le clair firmament; 
Et dans ces jours brumeux où l'ignoble ironie 
S'admire en insultant chaque jour le génie^ 
Il inclinait son front olympien devant 
Le Maître qu'il avait connu soleil* levant 
Et qu'il servit toujours d'une foi si profonde. 
Oh I comme les hideurs banales de ce monde 
Disparaissaient devant Théophile Gautier ! 
Dévouant au seul art tout son cœur en entier. 
Comme ce grand poëte était bon et sensible ! 
Quand il passait ainsi qu'un beau lion paisible. 
On eût cru voir marcher un sage de ces temps 
Où la Lyre apaisait la fureur des Autans ; 
Et Ton croyait ouïr chanter une sirène 
Quand en perles tombait sa voix douce et sereine. 

Ah ! parce qu'on a ri, parce que l'on rira 

De ceux que lé laurier verdissant attira, 

Parce qu'il faudra bien toujours qu'un imbécile 

Soit là pour accomplir cette tâche facile 

D'ameutei* le public contre les fronts hautains, 

Poètes, bénissons laidement nos destins : 

Tout est beau, tout est bien et mon âme est en joie I 

Pour renaître à l'espoir, il suffit que je voie 

zo 



74 LE TOMBEAU 



La stupeur que Paris, ce railleur sans remord, 

Ressentit quand on dit que Gautier était mort. 

Quel triomphe plus grand et plus fier pour la Muse I 

Le soleil perce enfin l'obscurité confuse 

Et dore de rayons éternels le laurier 

Qui croit sur le tombeau de ce digne ouvrier 

Mort Toutil à la main, dans un calme sublime, 

Cherchant à suivre encor le vol pur d'une rime ! 



c4 L'ES HT GLoAtlGV^Y. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 7$ 

\ 



04 THÉOTHILE GO^UTIE^ 



v^n n'a pas à pleurer sur son génie; il reste 
Tout entier immortel dans sa prose et ses vers. 
La mort qu'il a chantée aux chefs-d'œuvre divers 
Met le lustre suprême et le sceau sans conteste. 

Mais vainement pour tous sa gloire manifeste 

Du jaloux avenir ne craint point de revers, 

Sa perte, qui s'ajoute à de sombres hivers. 

Pour ceux qui l'ont connu n'en est pas moins funeste. 

Sa grâce, sa douceur, son bienveillant accueil, 
Son parler qu'on aimait, tout cela, le cercueil 
Le leur dérobe, et nul ne saura le leur rendre. 

La bonté littéraire, il l'eut; à quel degré! 

Lui qui, dans son essor altier, n'a pu comprendre 

Qu'à railler l'insuccès on prit le moindre gré ! 

> 

C«« F. "DE G7{<i4éMaf09C^. 



^6 LE TOMBEAU 



C4 THÉOTHILE Gq4UTIE%, 



I 



D 



autres de son génie ont parlé dignement. 
Trop jeune et trop obscur pour Tavoir pu connaître, 
Je ne sais rien de lui, que Tœuvre et que le maître. 
Ceux qui, parents, amis, pleurent en ce moment, 
Savent s^s dons de cœur. Je dirai seulement 
Quelle image de lui vient toujours m'apparaitre. 



II 



D'abord, c'est au théâtre, aux soirs où tout Paris 
Va d'un auteur nouveau savoir quel est le prix, 
Ou grossir des sifBés le long martyrologe. 
Lui, tranquille, accoudé sur le bord de sa loge. 
Écoutant tout passer sans paraître surpris, 
Aux efforts malheureux distribuait l'éloge. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 77 



m 



Et puis, où je le vois encor, c'est à Neuilly, 
Dans son chalet bâti dans un coin de campagne. 
C'est là qu'il vivait seul, comme un lion vieilli 
Paresseux à quitter le haut de sa montagne ; 
Là qu*il s'était adjoint l'étude pour compagne, 
Et que tout jeune auteur était bien accueilli. 



IV 



Et moi, je m'en souviens, voilà bien des années. 
J'allai, dans ce doux nid, aujourd'hui plein de deuil, 
De mes premiers essais lui porter le recueil. 
O soleil de printemps ! époques fortunées t 
Beau jour! Que de gaités s'en allaient égrenées 
Des lèvres du causeur qui me reçut au seuil! 



Nous parlâmes de l'art et de l'acteur Rouvière, 
Des beaux soirs à'Hemani, du journalisme affreux, 
Et combien en ces temps l'artiste est malheureux, 
Esprit libre forcé de marcher dans l'ornière... 
Sa conversation me revient tout entière. 
Aujourd'hui que j'apprends son trépas douloureux. 



78 LE TOMBEAU 



VI 



Soldats du romantisme et de dix-huit-cent-trente, 
Bons preux, après la lutte et les combats ardus, 
Vous voici dans la mort presque tous descendus ! 
Dormez en paix ! Votre âme en vos œuvres errante 
Dira sans fin, trompette héroïque et vibrante, 
Des chants qui, pour vos fils, ne seront pas perdus ! 



VII 



Lorsque, las de carnage et vaincu par le nombre, 

Le paladin Roland tombait à Roncevaux, 

Le cor, chantre et témoin de ses nobles travaux, 

Refusait d'escorter son âme en la nuit sombre. 

Et le pâtre des monts entend toujours dans Tombre 

Ses chants mêlés aux cris effarés des chevaux. 



LEOV^ CBM^^DET, 



DE THEOPHILE GAUTIER. 79 



C4 TEOUFILE GQ4UTIÉ 



JDoufo^ boufo, Eissero ! se n'enchau lou soulèu : 
L'auro noun pou de Tastre amoussa lou calèu. 

Quilo e boundo, grand mar! jamai di dindouleto 
Tis ausso bagnaran li rapidis aleto. 

Niéu sour, contro lou baus pos embandi ti tron : 
Noun i'entamenaras ni li flanc ni lou front. 

Orne, sus lou Ventour que toun pas escarlimpe ! 
Amount veiras de quant lou doumino TOulimpe. 

E pamens i' a 'n gigant plus fort que l'Eissero : 
Fai pâli lou soulèu e tremoula lou ro. 

Di négri dindouleto alassarié lis alo ; 

E quand paHo, lou tron n'es qu'un brut de mouissalo. 



8o LE TOMBEAU 



D'un rai de soun vistoun esvarto Torre niéu ; 
Soun esperit legis dins l'esperit de Dieu : 

Pouèto, es toun Engèni estrange, que dardaio, 
E que ris de la Mort e de soun cop de daio. 

FÉLIS G%<i4S. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 8i 



TEOFILO G 04 UT I Eli 



^ereno, e stanco di vicende umane, 
Questa terra inquiéta egli ha lasciato, 
Egli, il Maestro, délie forme arcane 
Innamorato. 

Era forte nelF arte — era il leone — 
Ne possedéa la maestà severa 
£ lo sguardo ripieno di visione 
E la criniera. 

Risuscitè rignota poesia, 
Evocandû col suo désir possente 
Lo splendore inAiocato e la magia 
Deir Oriente, 

I monumenti sotto il cielo aperto 
Nella torrida luce polverosa, 
E la sublime noja del deserto 
Senza una rosa. 



Il 



LE TOMBEAU 

Ne disse il Bosforo, ove l'onda bagna 
L'aile moschée dalle dorate ironti ; 
I calli angusli nella dolce Spagna 
In mezzo ai monti. 

Fu deir Italia appassionato amante 
E ne applaudi la gloria e la fbrtuna ; 
I palazzi il ricordano vagante 
Fer la laguna. 

Caiit6 la Gioja e il Bello, e la pagana 
Volnttà délia Forma, e i strani amori 
Délie cose, e il désir; l'ebrezza umana 
£ i suoi colori. 

Eppur sapeva le segrete pêne 
E le immense mestizie del poeta; 
SenÛ tristezza nella tii(>rta Ateae. 
Pens6 alla meu, 

Al destino, alla brama d'InfinitOf 
Pianse il passato ed indag6 il futtiro. 
Interroge le s6ogi, e tese il dite 
Verso l'oscuro, 

L'occbio profohdo ail' oiizzonte volto 
Assaliva i ooa£ni del pémiercv 
£ il suo EOgnb vagava ogndr piil Kiollo 
Oltre il mistero. 



_i 



DE THÉOPHILE GAUTIER.' 83 

Or lo ha seguito. £i che raggiunta avea 
Perfezione impeccabil di parola, 
Sentira in se corne sepolta dea 
L'aima che vola. 

E forse già, lassa, doye s'axnmanta 
La gran luce terribile e superna, 
Bello di nuova vita, ardente, canta 
La beltà etema. 



LUIGI GUoéLDO. 



LE TOMBEAU 



iMOO^UéME^T 



X oui périra : le marbre aussi bien que l'ai^Ie. 
La matière que dompte une savante main 
N'en saurait recevoir qu'une forme iragite. 

Ce qui vécut mille ans disparaîtra demain ; 

Car le Temps brise, aidé par la fureur de l'homme, 

Les œuvres du génie et de l'oigueil humain. 

Oui, toujours, ignorant du nom dont on les nomme, 
Le barbare soldat de Mummius ou d'Alhel 
Mêle la cendre grecque à la cendre de Rome. 

Le Dieu que Phidias fil jaillir immortel 

Du Paros, chair sublime oii l'Olympe respire, 

Est rentré dans la terre en tombant de l'autel ; 

Et de plus d'un César, qu'il fût mauvais ou pire, 
Dont l'orgueil s'incarnait au bronze souverain, 
On a fendu la gloire et mùaaajé l'empire : 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 85 

Car la foule, en ses jours de colère sans frein, 

Précipite du faite et trsune dans la rue 

Le dieu de marbre ainsi que le tyran d'airain. 

Sans craindre que jamais elle soit abattue , 
Dans un marbre ignoré, dans un divin métal, 
Le Poëte a sculpté lui-même sa statue. 

Il peut rire du Temps et de Thomme brutal ; 
L'insulte de la ronce et Tinjure de Therbe 
Ne sauraient ébranler son ferme piédestal. 

Car ses mains ont dressé le monument superbe 
A Tabri de la foudre , à Tabri du canon : 
Il Ta taillé dans Tor harmonieux du Verbe. 

Immortel et pareil à ce granit sans nom 
Dont les siècles éteints ont légué la mémoire, 
Il chante f dédaigneux de l'antique Menmon: 

Car ton soleil se lève et l'illumine , 6 Gloire ! 

JOSÉ'^aâ'BjQâ DE HE'RJE'DiQâ. 



86 LE TOMBEAU 



(AU i\fOlIT%E 'DE CHIL'DE'SliQitNi'D 



E 



ntre, fantôme cher. O mon beau Gautier, entre 
Dans la chambre où tes vers toujours seront aimés, 
Et vois, emmanchonnant ses pattes sous son ventre, 
Mon chat Vizir qui dort sur mes livres fermés. 

C'est mon ami, vois-tu, si probe et si fidèle!... 
Toi, tu comprends cela, maître de Childehrand^ 
Donc, ce soir, viens céans, tandis qu'à lourds coups d'aile 
Le vent lutte, dehors, dans Tombre, en soupirant. 

O mon hôte superbe, assieds-toi, je t'en prie, 
A côté du foyer. Plus de souci cruel. 
Et parlons, si tu veux, d'une bouche attendrie, 
De ces chats qu'adorait ton cœur spirituel. 

. Éponine ! — Enjoints ! — Don Pierrot de Navarre ! 
Cléopàtre! — Zizil —Maigre Béelzébuth! 
Madame Théophile, âme candide et rare ! 
Tous sincères et fins, Chats-de-Lettres, salut! 



DE THEOPHILE GAUTIER. 87 

Compagnons de travail ! ménagerie intime ! 

O grands Chats excellents!... Oui, pour avoir conquis 

Sa tendresse profonde après sa haute estime, 

Vous êtes immortels à présent, Chats exquis! 

Loin des bavards pédants, et loin des imbéciles , 
A lire de beaux vers, un chat sur les genoux, 
Comme les rudes jours coulent gais et faciles ! 
Victime du journal, vous en souvenez-vous > 

Pour moi, c'est en lissant le velours de la tète 
Du chat obscur qui, là, sommeille en ce moment, 
Que j'ai dit tes sonnets le plus souvent, poëte, 
Ou, dans tes livres d'or, voyagé fréquemment. 

Mais aujourd'hui ma voix est plus grave et plus lente, 
Maître de Childebrand, près de mon humble ami; 
Hélas! ton souvenir me rend la main tremblante 
Que je passe» rêveur, sur mon chat endormi. 

EliPCESr D'HETifOILLY. 



LE TOMBEAU 



DEVANT UN PORTRAIT 
^E THÉOPHILE Gq4UTTE% 



I 



Il cisèle un camée, il caresse un énuiil ; 
Vous croyez qu'il écrit? Il peint, il sculpte, il gntve. 
Pour vaincre sa pensée il ne sait pas d'entrave 
A toute strophe ailée il jette son tramail. 

Capitaine Fracasse, il montrait son plumail 
Avec les airs cassants du galant et du brave ; 
Mais l'art bientôt l'a pris et l'a fait fort et grave: 
Son livre est immortel, d'or en est le fêrmail. 

Comme on voit les rosiers aux branches remontantes 
Sourire aux vendangeurs par leurs fleurs éclatantes , 
Sa muse est toujours jeune et chante en souriant. 

Comme on voit dans les cieux l'Aurore aux lèvres roses 

De son divin baiser réveiller l'Orient, 

Ses doigts sous le travail font refleurir les roses. 



DE THEOPflILE GAUTIER. 89 



H 

Octobre 187a. 

J'avais deux compagnons de route sur la terre, 
Mais la mort a passé deux fois sur le chemin. 
Et j'ai pleuré deux fois. A qui donner la main^ 

Il me faut maintenant m'en aller solitaire. 

• 

O Théo I cher ami d'hier et de demain ! 
O Gérard! cher rêveur, dites-moi le mystère 
Où voyage l'esprit quand la pariétaire 
Envahit le tombeau ^ Quel est le Surhumaine 

Où vous retrouverai-] e, en la forme première? 

Mais vous n'êtes pas morts. Vous traversez mes jours. 

Pour ceux qui les aimaient, les morts vivent toujoiïts 

Combien qui sont debout et n'ont pas la lumière ! 
La mort vous a couchés dans le froid monument 
Mais votre étoile d'or s'allume au firmament. 



Q4 7{fiE:>CE HOUSSadYE, 



la 



90 LE TOMBEAU 



Lq4 &f07iT 'DE Dg^VHT^IS 



FRAOHIIIT DB &A CINq^UZàllB éoiOGUB PB VIROIKS. 



MENALQUE. 



l^u poëte Codrus dis-nous quelque nouvelle : 
Si c'est maitre Arbitus ou Codrus qu'on l'appelle } 
Nous chanterons, veux-tu^ les amours de Philis. 
Tityre au pré voisin gardera nos brebis. 



MOPSUS. 



Justement j'ai transcrit sur Técorce d'un hêtre 
La note et la leçon d'une chanson champêtre. 
Oii commence le vers, où s'arrête le chant ; 
Où le Auteur reprend son accompagnement. 
Âmyntas, j'en suis sûr, ne pourrait pas mieux faire. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 91 



MENALQUE. 



Autant vaut comparer le myrte à la fougère, 

La rose sur sa tige au lichen sur sa pierre. 

Mais nous voilà dans Tantre, halte-là I Commençons. 



MOPSUS. 



Njrmphes, pleurez! pleurez, chênes! pleurez, buissons! 

Hélas! Daphnis est mort dans la fleur des années. 

Vénus invoque en vain ses rudes destinées, 

Et se penche en pleurant sur le corps de son fils, 

L'écho répète au loin : Daphnis! pauvre Daphnis! 

La campagne à Daphnis rend les honneurs funèbres; 

Le fleuve et le ruisseau se couvrent de ténèbres; 

Les bœufs ont oublié Teau pure et le gazon ; 

Tout languit et se perd dans ce morne horizon. 

L'écho raconte au bois des choses lamentables ; 

Les lions ont versé des larmes formidables. 

Le tigre obéissant s'attelait à son char ; 

Il apprit de Bacchus à parer avec art 

Le thyrse entremêlé de pampres et de lierre. 

Autant la vigne à Porme est charmante et légère, 

Autant Daphnis plaisait au sillon enchanté. 

Notre soleil d'hiver, la paix de notre été , 

Lui mort, ils sont partis les dieux de nos campagnes. 

Paies appelle au loin ses fidèles compagnes. 



ça LE TOMBEAU 



Dans ces étroits sillons, plus de germe, il n'est plus 
Que semence inutile et labours superflus. 
La ronce avec l'épine à nos jardins s'impose, 
Plus d'œillets, de jasmin, 6 Vénus! plus de rose« 

Mais Daphnis ne veut pas qu'on s'abandonne ainsi. 
Bergers, consolez-vous; pasteurs, plus de souci! 
Plantez des arbres verts sur le bord des fontaines. 
Fécondez vos sillons et cultivez vos plaines. 
Que la main d'un ami grave sur son tombeau : 
Cy repose Daphnis, berger d'un fier troupeau i 
Il aimait les forêts, les beaux vers, les étoiles ! 

JULES JoâTCr^C, 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 9) 



04 THÉOPHILE Gq4UTIE%, 



1 oëtes, vous chantez ! Votre plainte infinie 
S'exhale dans les airs en un rhythme enchanté. 
Votre douleur s'épanche en longs flots d'harmonie , 
Poëtes, vous chantez Téteraelle agonie, 

L'éternelle beauté ! 



Vos rêves cadencés en un savant murmure 
S'envolent dispersés à tous les vents du ciel, 
Et le cœur prisonnier, brisant la triple armure, 
Laisse couler le sang de sa large blessure 

Comme un ruisseau de miel. 



O poëtes ! Souf&ez, pleurez, chantez encore ! 
Ainsi le vieil Homère, errant sur le chemin, 
Récitait au passant le poëme sonore; 
L'œil plein d'ombre, évoquant les clartés de l'Aurore, 

Il étendait la main. 



94 LE TOMBEAU 



A chacun de vos pas un compagnon succombe, 
De la Mort vous portez les sinistres couleurs, 
L'Athlète en souriant regarde l'hécatombe, 
Sur le sable du cirque il chancelle et retombe.. • 

Salut, gladiateurs! 

Vous aimez les parfums, les accords et les roses. 
O chercheurs à! Idéal, ivres de volupté. 
Éblouis des splendeurs de ses métamorphoses, 
Fils des dieux, renaissez dans les apothéoses 

De l'immortalité I 

Gautier, console-nous des misères humaines. 
Toi qui chantais l'Amour, la Liberté, le Beau ; 
Dans l'implacable azur de ces hauteurs sereines, 
Rallume aux cœurs amis les fiertés souveraines 

Comme un divin flambeau. 

Les hommes de tej chants garderont la mémoire, 
Ton nom sera l'égal du nom des dieux mortels ; 
O maître sculptural, poëte amant de gloire, 
Tu reçois la clef d or à la porte d'ivoire 

Des Temples éternels. 

CHQâ7(JLES JOLIEr. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 



95 



SOO^T^ET 



G 



œthe expirant criait : • Du jour I du jour encor ! » 
fl Des chants I • murmurait Gluck à son heure dernière. 
O splendide Harmonie ! ô vibrante Lumière ! 
Fée aux ailes de pourpre ! Ange à la harpe d'or ! 

Il vous aimait aussi le poète qui dort 

Dans la Nuit du Silence ! Hélas ! la lourde pierre 

Qui recouvre ses os, pèse moins sur sa bière 

Que cette Ombre sans Voix où meurt même la Mort ! 

C'est TArt qu'il adorait, Muses, sous vos figures ! 
Mozart de la Lumière, il rhythmait des peintures, 
Titien de THarmonie, il peignait des chansons ; 

Ses Poè'mes-Tableaux charmaient TŒlil et TOuïe 

Et faisaient ruisseler sur la foule éblouie 

La gamme des Couleurs et le prisme des Sons. 

LOUIS JVDICIS. 



96 LE TOMBEAU 



04 THÉOTHTLE Gq4UTIE% 



1 oëte, ta ferveur fait grande ta mémoire ! 
Absorbé tout entier dans ton culte béni, 
Tu préféras la Muse à tout, même à la gloire, 
Maître! qui dans ton art égalas Cellini. 

Amours, honneurs, trésors, tout ce que Thomme envie, 
Moins qu^un beau vers touchaient ton cœur épris du beau. 
A tout indifférent, tu passas dans la vie, 
L'àme et les yeux fixés sur Tidéal flambeau. 

Tu ne savais rien voir qu'au jour de sa lumière : 
Tu voulais beau le bien et belle la vertu. 
Diamant aâranchi de sa gangue première 
Le vrai ne te charmait que de beauté vêtu. 

Des rhythmes d'or portant allègrement la chaîne. 
Tu ciselais en vers ton rêve et ton ardeur. 
Ton esprit pur de fiel ne connut qu'une haine. 
Cette haine du Mal que trahit sa laideur. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 97 

Q)mme l'abeille au lis, Texpression heureuse, 
Rimes et mots ailés, accourait à ta voix. 
L'image éblouissait dans ta strophe nombreuse, 
Les mètres se teignaient de pourpre sous tes doigts. 

Le nombre et la couleur, le rhythme au long vocable 
Épousaient dans ton vers la ligne au fier contour. 
La forme avait ton culte, ô poëte impeccable ! 
Et de ses dons la forme a payé ton amour. 

Artiste exquis, tu fus un ouvrier modèle : 
Patient, obstiné, tendant sans cesse au mieux, 
Ta pensée et ton cœur, sous ton pinceau âdèle, 
En de vivants tableaux se traduisaient aux yeux. 

Ta parole peignait ; pour toi l'inexprimable 
N'existait pas : les mots t'obéissaient soumis. 
Mais sévère à toi seul, Maître ! ta force aimable 
Accueillait tout effort de ses bravos amis. 

Dans tes savantes mains la plume du critique 
Conseillait sans blesser. Ta clémente équité 
Savait mêler l'éloge au blâme sympathique : 
Tu fus grand par la force et grand par la bonté. 

Et tu pars, et la tombe a clos ta destinée ; 
Mais de la lice au moins tu sors ayant vaincu. 
Tu peux croiser tes bras : ton œuvre est terminée, 
Maître! et tu n'es pas mort, toi, sans avoir vécu! 

ï3 



98 LE TOMBEAU 



Comme un fleuve dont Teau féconde au loin les plages. 
Pars du sol des vivants sans remords ni regrets : 
Tu laisses après toi d'harmonieux feuillages ; 
L'oiseau du souvenir chante dans ton cyprès. 

La Musé romantique au front ceint d'hyacinthe^ 
Évoquant en son deuil les chants où tu survis^ 
Debout, veille sur toi, dans l'attitude sainte 
D'une mère pleurant au tombeau de son fils. 

Près d'elle je viendrai dans mes ferveurs discrètes 
Méditer sur ta tombe, au pied des saules verts; 
Et, visiteur pieux, sur tes cendres muettes. 
Fleurs d'un cœur qui t'aima, j'effeuillerai mes vers. 

^UGVSIK L<s4CQ4VSS(At)E, 



DE THEOPHILE GAUTIER. 99 



04 THÉOTHILE GoîUTIEQl 



Lier ami du soleil et des sources rieuses, 

Toi qui, du nord au sud, comme un gai vendangeur, 

Cueillais sur les chemins tes strophes radieuses. 

Déchirant, d^un regard pacifique et songeur. 

Le grand voile où dormait la splendeur de la terre , 

Te voilà donc remis en route, ô vojrageur ! 

L'Egypte, cette fois, gardera son mystère, 
La Castille poudreuse a fermé ses Sierras, 
Stamboul ne t'attend plus, ni la Maremme austère, 

Et la Grèce à son fils n'a pas tendu les bras. 

Plus loin, plus haut tu pars, loin des hommes qui pleurent^. 

Dans des pays sans nom chercher des Alhambras ! 

Sans guide, hélas I combien de poëtes demeurent I 
Qu'ils retiennent pourtant leurs sanglots et leur cri I 
Les temps sont bien passés de plaindre ceux qui meurent. 



loo LE TOMBEAU 



Et la tombe aux vivants jamais n'a tant souri. 
Qu'aurais-tu fait ici^ La Discorde maudite, 
La Violence infâme ont pour longtemps flétri 

Ce cher temple du Monde où, ceint de clématite, 

Immobile servant d'un culte déserté, 

Tu sonnais, enlacé par Tombre d'Aphrodite, 

Ton hymne mâle et doux à l'antique Beauté ! 
Noble supplicié des hautes nostalgies. 
Mélancolique amant de la Sérénité, 

Parsl Tu n'entendras plus, dans nos landes rougies, 
Gémir nos morts d'hier sans linceul enterrés 
Au sacrilège écho des nouvelles orgies» 

Ni le troupeau criard des rhéteurs effarés 
S'entre-mordre en livrant la patrie encor chaude 
Au viol du lourd Germain tapi dans les fourrés. 

Pars! Tu ne verras plus, déguisée en ribaude, 
Se vautrer dans les bras avinés des valets, 
La Muse au iront divin étoile d'émeraude. 

Ni tomber, é ventre par les lâches boulets, 
Le beau peintre oublieux de l'épouse parée, 
Ni pleurer les sculpteurs aux débris des palais ! 



DE THEOPHILE GAUTIER. ïoï 

Mais nous, suivant ta fuite à travers l'empyrée 
Où tu bois à longs traits Tazur oriental, 
Contemplateur ravi de la forme ignorée, 

Nous t'irons voir monter dans les nuits de cristal; 
Et tu feras alors scintiller dans sa flamme, 
Comme un œil indulgent qui rit au sol natal. 

L'astre consolateur où s'enivre ton âme ! 



GE0*BJSES LoâFE^ESI'B^. 



xoa LE TOMBEAU 



q4 THÉOTHILE GoiUTIEV. 



1 oi, dont les yeux erraient, altérés de lumière, 
De la couleur divine au contour immortel, 
Et de la chair vivante à la splendeur du ciel, 
Dors en paix dans la nuit qui scelle ta paupière. 

Voir, entendre et sentir? Vent, fumée et poussière. 
Aimer? La coupe d'or ne contient que du fiel. 
Comme un dieu plein d'ennui qui déserte Tautel, 
Rentre et disperse-toi dans Timmense matière. 

Sur ton muet sépulcre et tes os consumés 
Qu'un autre verse ou non les pleurs accoutumés; 
Que ton siècle banal t'oublie ou te renomme ; 

Moi, je t'envie, au fond du tombeau calme et noir. 
D'être afiranchi de vivre, et de ne plus savoir 
La honte de penser et l'horreur d'être un honmie. 

LECOt^C^E DE LISLE, 



^mm.^^ 



DÉ THÉOPHILE GAUTIER. 103 



04 THÉOTHILE G(i4UTIE% 



v^/uand le moissonAeur, dès Taurore, 
De ses bras nerveux et hàlés, 
Balance, au soleil qui la dore, 
Sa faux dans l'épaisseur des blés« 

Parfois, de son arme tranchante, 
Taillant en aveugle, au hasard, 
Il atteint un oiseau qui chante, 
Tout à l'ivresse de son art. 

Et Toiseau meurt ! Un rêveur passe. 
Et dit, surpris, des yeux cherchant : 
Ce soir il manque dans Tespace 
Un vol, une harmonie, un chant. 

Ainsi toujours la Mort promène 
Sa faux aux sanglantes lueurs 
A travers la mêlée humaine, 
Et de nous atteint les meilleurs ; 



I04 LE TOMBEAU 



Quelquefois même, à Timproyiste, 
Dans un seul être, sans merci, 
Frappe un poëte, un grand artiste, 
Comme l'oiseau chantant aussi. 

Et son cœur s'éteint, sa pensée 
Dans son front se glace à jamais, 
Et son âme, en montant, bercée. 
Cherche vers Dieu les hauts sommets. 

Et nous, tristes de son absence. 
Sur son froid tombeau nous penchant. 
Nous disons : Il manque à la France 
Un vol, une harmonie, un chant. 

LÉOTOL'D LG4LUYÉ. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 105 



Ldâ TIE^K^E T>U TOm'BEQâU 



r our ce néant qui dort en cette nuit de pierre, 
L'univers était fait de forme et de couleur. 
Pour lui tout) rêve ou chose, amour, joie ou douleur, 
Était un mouvement rehaussé de lumière. 

Comme une aiguë marine il enchâssait un pleur. 
Son pouce modelait Tidée ou la matière ; 
Son œil par le menu Tembrassait tout entière ; 
Et le fini du trait n'excluait pas Tampleur. 

Sous un couchant terni par la honte et le doute. 
Impassible, il marcha, tant qu'il put sur la route 
Voir le reflet lointain d'un lever radieux. 

L'aube nouvelle est loin; il meurt quand la nuit tombe; 
Il s'en va retrouver le soleil dans la tombe, 
Pareil à ces anciens que la mort faisait dieux. 

14 



io6 LE TOMBEAU 



Lq4 C1{YTTE 



D 



''une crypte scellée à peine 
Sur un mystérieux trésor, 
Filtre un jet de lueur sereine, 
Comme d'un triptyque à fond d'or. 
Un mot magique ouvre la porte, 
Et l'illusion nous transporte 
Vivants, dans la région morte 
Des paradis orientaux, 
Flamboiment où l'œil ne discerne 
Que les parois de la caverne 
Où l'éclat des gemmes alterne 
Avec la splendeur des métaux. 

Sur d'épais tapis, des statues 
Montrent en riant le chemin ; 
La plus belle des moins vêtues 
Est Madeleine de Maupin. 
Des bas-reliefs, des paysages, 
Traduisent en riches images 



DE THEOPHILE GAUTIER. 107 

Tous les climats et tous les âges, 
Le spectacle du monde entier. 
Un camée au centre rayonne ; 
Un cercle d'émaux l'environne 
Déroulant, comme une couronne, 
Ton nom, Théophile Gautier! 

A la mesure de leur gloire 
Les Rhamsès taillaient des tombeaux 
Où la poésie et l'histoire 
Viennent projeter leurs flambeaux. 
Toi, maître, fort de leur exemple. 
Pour faire à ta mémoire un temple 
Où la postérité contemple, 
Une œuvre digne de l'effort, 
Impassible témoin du monde. 
Trente ans au-dessus de son onde 
Tu poussas ta sape profonde 
Dans l'éternité de la mort ! 



q4V^T)7{^ LEFEVTIP. 



io8 LE TOMBEAU 



04 THÉOTHILE G(i4UTIE%, 



S 



ouple comme un pinceau, ferme comme un burin, 
Sa plume merveilleuse, en gravant sur Tairain , 
Se trempe aux flots de pourpre et d'or de la fournaise, 
Se baigne aux flots d'argent de l'astre Véronèse. 

E'KKESV LEGOUVÉ, 



DE THEOPHILE GAUTIER. 109 



T0G4ST FU7^È'B%E 



Od. 



notre bonheur, toi, le fatal emblème ! 



Salut de la démence et libation blême, 

Ne crois pas qu'au magique espoir du corridor 

J'ofire ma coupe vide où soufire un monstre d'or ! 

Ton apparition ne va pas me suffire : 

Car je t'ai mis, moi-même, en un lieu de porphyre. 

Le rite est pour les mains d'éteindre le flambeau 

Contre le fer épais des portes du tombeau : 

Et l'on ignore mal, élu pour notre fête 

Très-simple de chanter l'absence du poëte, 

Que ce beau monument l'enferme tout entier : 

Si ce n'est que la gloire ardente du métier, 

Jusqu'à rheure dernière et vile de la cendre , 

Par le carreau qu'allume un soir fier d'y descendre 

Retourne vers les feux du pur soleil mortel I 

Magnifique, total et solitaire, tel 

Tremble de s'exhaler le faux orgueil des hommes. 



iio LE TOMBEAU 



CaCte foule hagarde ! elle annonce : Nous sommes 

La triste opacité de nos spectres futurs ! 

Mais le blason des deuils épars sur de vains murs, 

J'ai méprisé Thorreur lucide d'une larme, 

Quand , sourd même à mon vers sacré qui ne Talarme , 

Quelqu'un de ces passants , âer, aveugle et muet , 

Hôte de son linceul vague, se transmuait 

En le vierge héros de Tattente posthume. 

Vaste gouffre apporté dans Tamas de la brume 

Par l'irascible vent des mots qu'il n'a pas dits. 

Le néant à cet Homme aboli de jadis : 

• Souvenir d'horizons, qu'est-ce, ô toi, que la Terre?» 

Hurle ce songe ; et voix dont la clarté s'altère , 

L'espace a pour jouet le cri : c Je ne sais pas I » 

Le Maître, par un œil profond, a, sur ses pas 5 
Apaisé de l'éden l'inquiète merveille 
Dont le frisson final, dans sa voix seule, éveille, 
Pour la rose et le lis, le mystère d'un nom. 
Est-il, de ce destin, rien qui demeure? Non. 
O vous tous ! oubliez une croyance sombre. 
Le splendide génie éternel n'a pas d'ooibYe. 
Moi, de votre désir soucieux, je veux voir, 
A qui s'évanouit, hier, dans le devoir 
Idéal que nous font les jardins de cet astre , 
Survivre pour l'honneur du tranquille désaslro 
Une agitation solennelle par l'air 
De paroles , pourpre ivre et grand calice clair, 
Que, pluie et diamant, le regard diaphane 



DE THÉOPHILE GAUTIER. m 

Resté -là sur ces fleurs dont nulle ne se fane, 
Isole parmi Theure et le rayon du jourl 

C'est de nos vrais bosquets déjà tout le séjour, 
Où le poè'te pur a pour geste humble et large 
De rinterdire au rêve, ennemi de sa charge : 
Afin que le matin de son repos altier, 
Quand la mort ancienne est comme pour Gautier 
De n'ouvrir pas les yeux sacrés et de se taire. 
Surgisse, de Tallée ornement tributaire. 
Le sépulcre solide où git tout ce qui nuit. 
Et Tavare silence et la massive nuit. 



lia LE TOMBEAU 



LE mcAL 'DU TOETE 



J 



e n'ai jamais cru, maître auguste, 
A ta placidité sans fin : 
Plus d'un gourmet souâre la faim 
Devant le plat d'or qu'il déguste. 

Ces délicats qu'on juge heureux 
Au banquet de leur fantaisie. 
Ont des fatigues d'ambroisie 
Dans leurs appétits douloureux. 

Tous ceux dont l'oreille est si tendre, 
Tous ceux dont l'œil est si perçant, 
Epris d'un idéal absent, 
Voudraient mieux voir et mieux entendre. 

L'artiste lutte obscurément 
Au plus profond de sa cervelle : 
Chaque beauté qu'il nous révèle 
Garde le secret d'un tourment ! 



DE THEOPHILE GAUTIER. 113 

Ce qu'il nous prodigue et nous livre, 
C'est sa substance, c'est sa chair ! 
Son moindre rêve coûte cher : 
Il meurt dans sa toile ou son livre I 

Tant de visions, dans les airs 
Flottant au hasard confondues; 
Tant de sonorités perdues 
Qu'on voudrait fixer en concerts ; 

Tant de tableaux qu'on voudrait peindre, 
De parfums qu'on voudrait humer, 
De formes qu'on voudrait aimer. 
D'horizons qu'on voudrait atteindre. 

Font un supplice qui n'est su 
Que de ces martyrs, fous ou sages. 
Dont nous scrutons les fiers visages, 
Où nul effort n'est aperçu ! 

Ton impassible quiétude, 
Comme un masque toujours serein. 
Des psychologues d'outre-Rhin 
Eût défié la longue étude. 

Tout voyant semble un endormi : 
Qui peut oublier ou décrire 
Le mystère de ton sourire 
Et de tes yeux clos à demi } 



114 LE TOMBEAU 



On aurait dit que ta paupière 
Redoutait nos tristes réveils ! 
Il faut de plus ardents soleils 
A ces amants de la lumière I 

Même aux regards de Tamitiè, 
Tu simulais Tindifférence, 
Pour mieux voiler une souffirance 
Qui se dérobe à la pitié. 

La mort a fini cette guerre 
Où Tathlète que rien n'abat 
Se livre à soi-même un combat 
Qui reste ignoré du vulgaire. 

Retourne à Timmense inconnu ! 
Prends dans tes étreintes puissantes 
Les figures éblouissantes 
Dont ton rêve s'est souvenu I 

Chercheur de plages chimériques, 
De mer en mer toujours trompé^ 
A nos mensonges échappé, 
Vole aux divines Amériques ! 

Laisse-nous les pâles décors, 
Les teints flétris, les molles danses ; 
Les âmes ont des confidences 
Plus merveilleuses que le corps ! 



DE THÉOPHILE GAUTIER. iiy 

■ — — - - 

Quitte ces fantômes sans nombre 
Que ton amour avait fètés ; 
Touche enfin les réalités 
Dont tu ne caressais que Tombre I 

Le sommeil calme et souriant 
Qui dans la tombe t'accompagne 
A plus de couleurs que l'Espagne 
Et de rayons que l'Orient! 



LE TOMBEAU 



L'aiUVEIlGa^E 



aiV rOOfBEalV "DE Gc^UTIEH, 



Stint muiiboi irc 



VJautierl poëte illnstret ô maître sans pareil, 
Toi qui savais fixer les rayons du soleil 
Dans ta phrase sonore, ou d'un reflet de lune 
Éclairer l'Océan brisé contre la dune, 
Voyageur inspiré dont le regard de £bu 
Au delà du réel s'élançait jusqu'à Dieu, 
Qui traversas l'Europe, et l'Afrique, et l'Asie, 
Faisant partout jaillir des flots de poésie, 
Admirateur pieux du monde oriental, 
Je te salue, au nom de mon pays natal, 
Et je viens aujourd'hui, dans ma douleur amère. 
Prenant le deuil au nom de l'Auvergne, ma mère. 
Mêler aux noirs cyprès, ornements du tombeau, 
Des branches de laurier, de chêne et de bouleau. 

Os se souvient de toi dans la salle gothique 



DE THEOPHILE GAUTIER. 117 

« -" ■ 

Du vieux château bâti sur le roc granitique, 
Dans cette salle d'arme où tu causais le soir, 
On dit tout bas : C'est là que Gautier vint s'asseoir. 
Car nos vieux troubadours ont tressailli naguère, 
Lorsque tu parcourais l'Auvergne, avant la guerre, 
Et que tes yeux lisaient dans notre ciel d'azur. 
Enivré de parfums, de lumière et d'air pur, 
Écoutant les chansons naïves des faneuses. 
Tu marchais à travers nos plaines sablonneuses, 
Comme les Dieux, exempt d'espoir et de souci. 
Sur les sommets du Puy-de-Dôme et du Sancy, 
Nous avons contemplé ta tête sculpturale. 
Tu vis Clermont avec sa vieille cathédrale, 
Clermont oii dort Desaix à côté de Pascal. 
Puis saluant Lezoux d'un sourire amical. 
Tu vis se dérouler aux pieds de la montagne 
La Varenne fleurie et la blonde Limagne. 
Tu vis Thiers, ville noire et ses noirs habitants. 
Et ce pays oii s'est écoulé mon printemps. 
Pays cher à mon cœur, avec sa tour du More 
Et ses cours d'eau plaintifs, la Dore et la Dolore. 

J'espérais voir un jour, ô peintre sans rival. 
Après l'Espagne, après le monde oriental. 
Dans un de ces tableaux tracés de main de maître , 
Mon Auvergne vivante et joyeuse apparaître. 
Avec ses châteaux-forts pleins de vieux souvenirs, 
Ses horizons frangés de pourpre et de saphirs. 
Ses moissons, ses volcans et ses neiges sans tache. 



ii8 LE TOMBEAU 



Mais quel homme ici-bas peut achever sa tâche > 
La mort est là qui rôde épiant les meilleurs. 
Ta palette est brisée et ses vives couleurs 
Ne luiront plus. Adieu, poète, grand génie, 
Qui t'arrêtas un )our dans l'antique Arvernie, 
Et qui dus conserver, au suprême départ, 
L'azur de notre ciel au fond de ton regard* 

004*8 %t EL ^cA%C 



DE THEOPHILE GAUTIER. 119 



ÉTITQ4THE 



J eunes vierges , versez , avec de belles poses , 
Versez des fleurs ! Celui qui dort dans ce tombeau 
Aima d'un noble amour les vierges et les roses. 

Jeune pâtre , conduis ton docile troupeau 
Vers ce tertre ! Celui dont les lèvres sont closes 
Paissait les rhythmes d'or sur les hauteurs du Beau. 

Sur ce front éclairé , vivant, d'apothéoses , 
Allume, ardente nuit, ton multiple flambeau; 
Cygnes, pour ce chanteur chantez, doux virtuoses I 

Mais tous , vierges et fleurs , pâtres , étoile , oiseau , 
Ne pleurez pas, malgré la plus juste des causes, 
Car celui qui dort là dans un blême lambeau 

Sut regarder sans pleurs les hommes et les choses. 

CG4TULLE é\fE9C'DÈS. 



lao LE TOMBEAU 



24 THÉO'PHILE Gg4UTIE% 



C 



romme les Grecs ouvrant les yeux à la Beauté, 
Voyaient avec le jour la mer bleue et les iles, 
L'éclat fin des couleurs et les fortnes tranquilles, 
Sous le ciel transparent et calme de l'été; 

Ainsi, maître de grâce et de sérénité, 
Maître du rhythme grave et des strophes agiles , 
Pour fuir l'aspect du mal qui tord nos corps fragiles, 
Tu tenais vers le Beau ton regard arrêté. 

Un autre âge eût plus haut proclamé ton génie : 
Car les hommes parfois, épris de l'harmonie, 
Dressèrent des autels aux êtres radieux, 

O Sage, né du sang de l'aurore première , 

Qui répandis longtemps pour ce siècle sans Dieux 

Ton esprit magnifique, aimé de la lumière ! 



DE THEOPHILE GAUTIER. lai 



SUS Lq4 mOVJ "DE GQâUTIÉ 



Vja, Roso dou matin au vespre toumbo flour; 
L'Aucèu, un moumenet, canto entre dos tempèsto; 
Lou Lioun subre-fort péris pèr sa valour ; 
La Femo vai plourant lou rire de sa fèsto. 

La Jouvènço fai gau, mai s'encour à la lèsto; 
L'Amour, tant dous au cor, enfanto la doulour ; 
La Glori a bèu lusi, noun es qu'un fum de tèsto ; 
L'Engèni, fiéu dou Cèu, s'embrounco à la malour. 

Au meiour, au plus bèu, au plus grand, au plus miste, 

Fau de-longo eiçabas que l'auvàri contro-iste, 

Pèr nous prouva que Soûl quaucun règno amoundaut. 

Countemplaire auturous dou revoulun fatau, 
Fau que cale, eu peréu, lou pouèto inmourtau! 
En Dieu tout se profoundo : es d'aco que sian triste. 



i6 



133 LE TOMBEAU 



C^ THÉOTHILE GoâUTIEV^ 



p 



auvre Gautier! Il n'est plus là, 
Sa riche humeur nous est ravie... 
La montagne à peiné gravie , 
L'âme disparaît au delà... 
Hélas I que d'esprit s'en alla, 
Et quelle vie ! 

Comme il emmenait en riant 
Toutes les muses, ses compagnes. 
Par monts et vaux, bois et campagnes, 
Dans un monde luxuriant : 
A Venise, entre TOrient 
Et les Espagnes ! 

Jusqu'au bout l'heureux ciseleur 
Avec sa grâce coutumière 
A gardé sa force première; 
Et quel entrain, quelle chaleur I 
Quelles fanfares de couleur 
Et de lumière I 



DE THEOPHILE GAUTIER* 123 

Poëte, on dit que tu dormais 
Dans ta sereine indifférence, 
Libre d'amour et de souârance, 
Glacé comme les hauts sommets... 
Je sais pourtant que tu Taimais, 
Ta chère France! 

Que tu lui revins tout entier, 
Doux et triste à la dernière heure , 
Que Tart sans flamme intérieure 
N'est qu'un misérable métier; 
Que tu pleuras, pauvre Gautier, 
Et qu'on te pleure 1 



XH * LE TOMBEAU 



ÉTITQ4THE 



r assant, celui qui dort là-dessous eut toujours 
L'horreur du froid bon sens et de la prose impie 

De la lyre il fit ses amours, 
Et vécut et mourut martyr de la copie. 



ihtOJ^SELET, 



DE THÉOPHILE GAUTIER. laj 



q4 FUT^ETicaL soc^c(^ 



F0% THÊOTHILE GQ4UTIE71 



w, 



hat shall our song be for the mighty dead, 

For this our mas ter that is ours no more? 

Lo ! fbr the dead was none of those that wore 
The laurel lightly on a heedless head, 
Chanting a song of idle lustihead, 

Among the sun-kissed rose^on the shore ! 

Thîs our beloved, that is gone befbre, 
Was of the race of heroes battle-bred, 
That from the dâwn-whîte to the sunset-red 
Fought in the front of war I 

Lo ! this was he that in the wear/ time, 
In many a devions and darkling way, 
Through dusk of doubt and thunder of dismay 

Held our hearts hopeful with his résonant rhyme, 

Lifting our lives above the smoke and slime 
Into some splendid summer for away , 
Where the sun brimmed the chalice of the day 

With gold of heaven and the accordant chime 



ia6 LE TOMBEAU 



Of woods and waters to the calm sublime 
Sent up their roundelay! 

This was our poet in the front of faith ! 
Our singer gone to his most sweet repose, 
Sped to his summer from the time of snows 

And winter winding ail the world with death ; — 

Who shall make moan or utter moumful breath 
That this our noblest one no longer knows 
Our evil place of toil and many woes, 

Lying at the last where no voice entereth ? 

Who shall weave for him other than a wreath 
Of laurel and of rose ? 

Hence with the cypress and the funeral songl 
Let not the shri]^ sound of our mourning mar 
His triumph, that upon the Immortals' car 

Passes, star-crowned ; but from the laurelled throng, 

That stand await, let every toioe prolong 
A noise of jubilance, that from afar 
Shall bail in heaven the new majestic star 

That rises, with a radiance calm and strong, 

To burn for ever, unobscured, among 
The courts where the Gods are! 

Ay, let the trumpets and the clarions blow, 
The air rain roses and the sky resound 
With harpings of his peers that stand around, 

The while the splendours of the triumph go 



DE THléOPHILE GAUTIER. 127 



Along the streets and through the portico ! 
I too, who loved the dead, as from the ground 
The glowworm loves the star, will stand, brow-bound 
Wîth winter-roses, in the sunset-glow, 
And make thin music, fluting soft and low 
Above his funeral moundi 

I too, who loved him, frQm beyond the sea 
Add my weak note to^that sublime acclaim, 
That, soaring with the silver of his name, 
Shall shake the heavens with splendid harmony, 
Till ail who listen bend in awe- the knee, 
Seeing a giant's spirit, like a flanie, 
Retuming to that heaven from whence it came, 
And many weep for very shame, to see 
The majesty they knew not, till 'twas free 
From earthly praise or blâme! 

Hail, O our master ! From the hastening hours 
This one we set above its grey-veiled peers, 
Armed with thy name against the night that nears ! 

We crown it with the glory of the flowers, 

We wind it with ail magie that is ours 
Of song and hope and jewel-coloured tears ; 
We charm it with our love from taint of fears; 

We set it high against the sky that lowers, 

To burn, a love-sign, from the topmost towers, 
Through glad and sorry years. 



ia8 LE TOMBEAU 



O'DE 



J e te salue , ô Maître , 
Qui , charmé de connaître 
L'idéal le plus beau , 
Vas au tombeau , 

Au grand tombeau nocturne 
Où, dans les flancs de Tume, 
Veille pour le devin 
Un sombre vin. 

Heureux qui , dans l'ivresse , 
Paisible et vengeresse, 
Que tu goûtes dès lors , 
Sublime, dors. 

Le siècle qui s'écroule, 
Épouvantable, roule 
Ses fracas de vapeurs 
Parmi nos peurs. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 139 

Mais ce coucher du rêve , 
Dans une riche trêve, 
A teint d'ors louangeurs 
Et de rougeurs 

Ta tombe aux mornes voiles 
Dont , vers un ciel d'étoiles , 
Tout entière , s'enfuit 
La triste nuit. 

O sépulcre ! non : temple 
D'où , statue au vol ample , 
Ta gloire grandira 
Et planera 

Par-dessus l'homme terne 
Et lourd qui se prosterne , 
Et, fils aux fiers genoux, 
Par-dessus nous I 

Cette auguste maîtresse 
Qui mêlera sa tresse, 
Lorsque nous nous tairons, 
A ses clairons. 

Par sa majesté nue 
Eblouissant la nue 
Au fond du vaste azur 
Toujours plus pur, 

«7 



X30 LE TOMBEAU 



Avec ton Ombre éprise 
De clarté, qui méprise 
La Mort et le vain soir, 
Ira s'asseoir I 






Je te salue , ô Maître 
Qui mènes encor paître, 
Ton sceptre sur leurs reins , 
Les chœurs sereins 

Des célestes Pégases, 
Dont les ailes de gazes 
Résignent leur grand vol 
Sur notre sol. 

Oh le dur sabot sonne 
Un rhythme que personne 
Jamais n'ouït avant 
Leur pas savant. 

Nulle autre apothéose I 
Le divin Gautier ose 
Dans l'antique verger 
Être bei^er : 



DE THEOPHILE GAUTIER. 131 

Oui ! tant que la verdure 
Élyséenne dure ^ 
Sur sa tète, j'entends, 
Vainqueurs des temps , 

Non réclat que répète 
Quelque illustre trompette , 
Mais les chevaux hennir 
Dans l'avenir. 



JOH?^ Tq4YV^E. 



jj» LE TOMBEAU 



qO. THÉOTHILE G<i4UTIS%. 



H. 



.élas I en vain ma lyre évoque Tharmonie , 
L'Écho reste muet aux accents de ma voix, 
Et, sous leurs fronts voilés, les Muses aux abois 
Versent des pleurs émus sur ce fécond génie ! 

Tu n'es plus ! O poëte à la grâce infinie 
Dont les brillants récits alliaient à la fois 
Aux splendeurs d'Orient le charme de nos bois, 
Tu dors du long sommeil sous la feuille jaunie I 

Sur nous la sombre mort frappe de toute part ; 
Tour à tour elle prend ces champions de l'Art 
Dont notre cœur en deuil révère la mémoire ; 

Mais, Gautier, de ton nom que rien ne peut ternir. 

Les générations satiront se souvenir. 

Et tes œuvres vivront pour rappeler ta gloire ! 

J. TETICHE, 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 133 



VJÉSUVSBJECTIO^ 



V>îseleur merveilleux, 6 grand peintre, ô poëte ! 
Jusqu'au suprême adieu, lier disciple du Beau ; 
Toi qui, sans te lasser, luttant comme un athlète, 
De l'Art portais si haut Tétincelant flambeau ; 

Ta maia est donc rigide et ta lèvre muette?... 
Dans l'air a croassé le sinistre corbeau ; 
Le soleil d'Orient s'éteint sur ta palette. 
Et sur toi va peser le marbre du tombeau ! 

Ces yeux, hier encore avides de lumière, 
N'auront plus de regard. A l'étroit dans sa bière, 
Le voilà, loin du jour, hélas I enseveli. 

Maître, tu f)eux dormir! La Muse éblouissante 
Émerge du cercueil \ et ton œuvre puissante, 
Charmant tous les esprits, saura vaincre l'Oubli. 



134 LE TOMBEAU 



g4 THÉOTHILE GoaUTIElf^ 



D. 



^onc, poè'te immortel, te voilà mort aussi, 
Gautier ; tu suis Dumas, Regnault et Lamartine ; 
A dépeupler nos rangs l'avide Mort s'obstine, 
Et la faux du vieillard travaille sans merci. 

• 

Comme ces combattants qui voient tomber un brave 
Se regardent, muets, et craignant d'avancer; 
Devant ce grand cercueil nous n'osons pas penser : 
D'un suprême malheur notre malheur s'aggrave. 

Le ciel est rouge encor de l'ardeur des brasiers, 
Paris s'abîme et meurt comme Numance et Troie, 
Et vous voulez encore une nouvelle proie, 
Tombeaux que tant de morts n'ont pas rassasiés ! 

Pour manger le pain noir pétri de féverolle. 
Pour souffrir comme tous tu revins parmi nous; 
(A ce vieillard le sort des jeunes semblait doux) 
Parmi les plus vaillants tu remplis bien ton rôle. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 13; 

Quand Paris^ ce grand corps par la faim abattu, 
Tomba, que Tennemi fit chez nous son entrée, 
Tu refis ta maison, par la bombe eventrée 
En soldat fatigué d'avoir bien combattu. 

Tu repris tes amis, ton coin de feu, ton livre 
Et ton chat familier dans tes bras caressé ; 
Tu revis le soleil, songe presque effacé 
Et l'inspiration, qui transporte et délivre; 

Le loisir du penseur, le juste et bon repos, . 
La muse qui nous fait aller à la dérive... 
Un an, et puis la mort sournoisement arrive 
Le jour où sur la hampe on roule les drapeaux. 

Dieu t'épargna pourtant Thorreur de l'agonie; 
En poëte^ narguant la mort et son aâront, 
Muet, sans que le mal assombrit ton beau front. 
Tu mourus calme, ainsi qu'un sage d'Ionie. 

Le ciel s'ouvre pour toi. Va d'un vol éclatant 
Au milieu des parfums, au milieu des musiques. 
Prendre possession des paradis physiques 
Où des grands immortels la cohorte t'attend. 

La troupe des Wilis inclinera les anses 
Des brocs d'or où la soif des dieux peut s'apaiser. 
Et tendant leurs fronts ceints de fleurs à ton baiser 
Les légères Péris interrompront leurs danses. 



Ï36 LE TOMBEAU 



Au bruit des sistres d'or, au bruit des chutes d'eaux 
Dans des palais emplis de divins dialogues, 
Virgile, te cherchant, te dira ses églogues, 
Et des voix chanteront claires sous des rideaux. 

Dans ce ciel, au delà des immensités bleues 
Monte prendre ton rang, toi si pur, toi si bon I 
Notre univers mesquin, enfumé de charbon, 
Est séparé de toi par d'innombrables lieues. 

Sur le poëte mort chantez, musiciens, 

Poëtes, entonnez le suprême cantique. 

Pour chanter dignement la mort d'un homme antique 

Retrouvez, s'il le faut, des modes anciens; 

Et maintenant, sculpteurs, taillez vos plus beaux marbres 
Pour celui qui, vivant, aimait le marbre et l'or; 
Et, de peur d'éveiller le doux vieillard qui dort, 
Tombez bien doucement, feuilles jaunes des arbres. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 137 



LE T%IOSMTHE "DE Loâ iMOUT 



I. 






1 ant et si bien chanté par la mélancolie, 
Campo-Santo, peuplé des rêves d'Orgagna ! 
Nous aimons, sur leur fresque impunément vieillie, 
Les trois cercueils royaux que le maître aligna. 

L'un des morts a gardé la ressemblance humaine, 
Mais verdi, boursouflé de putrides ferments; 
Le second, un fouillis où le ver se promène ; 
Le troisième n'est plus qu'un ramas d'ossements. 

Des dames, des seigneurs, en longue cavalcade, 
D'hermine revêtus, frisés et bien nourris, 
Les faucons et les chiens complétant la parade. 
Trouvent, au pied d'un mont, ces elSrayants débris. 

Là-haut, tout près du ciel, exemples salutaires 
Du calme reconquis dans les austérités. 
Le peintre nous fait voir deux pauvres solitaires ; 
La belette et la grue errent à leurs côtés. 

18 



138 LE TOMBEAU 



Mais, en bas, les bosquets sont remplis de victimes, 
Et les démons, pareils à des chauves-souris, 
Sous la forme d'enfants emportent aux abîmes 
Les âmes d'amoureux, par leurs griffes surpris. 

Le triomphe éternel que le destin t'assure, 
O Faucheuse et Camarde I ainsi, bien avant nous. 
Le rendit, dans des jours de meurtre et de luxure, 
Le vieux midtre croyant qui peignait à genoux ! 



IL 



Quel temple, tôt ou tard, ne manque de lévite? 
Quel dieu ne voit venir l'heure d'être embaumé > 
Toute croyance meurt, et sa chimère habite 
Le tombeau des aïeux, sur elle refermé. 

Mais, ccnnme aux jours naïfs, dans un siècle incrédule. 
Le souci de la mort nous ronge et nous pâlit. 
Distraits sur le théâtre où le sort nous accule, 
Sans cesse nous rêvons de notre dernier lit! 

Le poète, à présent cousu dans son suaire. 
Dressa le monument de notre désespoir, 
Et son œuvre est un vaste et magique ossuaire 
Avec des pleurs d'argent sur des fonds de drap noir. 



DE TMEpPHILE GAUTIER. 139 

Sa muse, c'est partout, c'est toujours Véronique : 
Un caprice la prend de se mettre du fard, 
Pimpante, de vêtir une riche tunique, 
De mêler des bijoux et des fleurs avec art; 

Mais, que sonne minuit à l'horloge fatale, 
L'amoureuse trahit son horrible secret. 
Et malgré les débris du luxe qu'elle étale 
Tout artifice est vain, le squelette apparaît. 

Pisans ! soyez jaloux : pour la suite des âges, 
Nous avons, nous Français, notre Campo-Santo, 
Où se multiplîront les saints pèlerinages 
Des générations, pliant sous leur fardeau. 

FT<jÉ7>É%IC TLESSIS. 



HO LE TOMBEAU 



SUIl LQâ TOSM'BE 



'DE THÉOTHILE G<^UriET{, 



lier moissonneur du Beau, dors couché sur ta gerbe! 
Dors, l'auréole au front, sur ton œuvre superbe, 
O poëte parti pour Timmortalité, 

Avec ta prose peinte et ton beau vers sculpté I 

« 

C'est le Ciel maintenant qui remplit ta prunelle. 
Si là-haut, aux heureux de la vie éternelle 
Tu le décris, ainsi que la Terre autrefois. 
Ils croiront voir le Ciel pour la première fois I 

LOUIS *RMriS'B0^7^E 



•f 





L 



DE THEOPHILE GAUTIER. 141 



Q/iVQ4TQ41i 



Lxans riran, à douze cents lieues, 
Un vieux palais ëtale encor 
Ses faïences rouges et bleues, 
Avec des arabesques d'or. 

Ce palais est près d*une route 
Où les caravanes s'en vont, 
Comptant leur eau, goutte par goutte. 
Sous la chaleur du ciel profond. 

Dans ce palais, un homme habite, 
Un beau )eune chef de tribu. 
Mi-soldat et mi-cénobite, 
Brun, large d'épaule et barbu. 

Pour quelques tomans, il protège. 
Avec ses cavaliers hâlés, 
Les voyageurs contre le piège 
Des brigands dans les défiîés. 



142 LE TOMBEAU 



Hier, il a, dans sa retraite 
Effondrée à bien des endroits, 
Amené la vierge parfaite 
Dont le henné rougit les doigts. 

Et Ton a fait parler la poudre 
Dans le long cortège éclatant 
Qui galopait comme la foudre 
Pour s'arrêter net à Tinstant. 

Là^ celui qui des beaux costumes 
Et du grand soleil eut Tamour, 
Le poète, mort dans nos brumes, 
Veut reprendre une place au jour, 

Dans le premier baiser du maître 
Et de réponse, il s'est glissé, 
Pour être le fruit qui doit naître 
Où la fleur d'amour a poussé. 

Il sera beau comme son père, 
Et ses cavaliers le craindront, 
Comme un lion dans son repaire. 
En lui voyant plisser le front. 

11 sera fastueux et digne. 
Aimant la guerre et le ciel bleu ; 
Il n'écrira pas une ligne, 
Et ne saura lire qu'un peu. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 143 

" ■ ■ - 1 

Mais, pour animer quelque histoire, 
Vienne un conteur lui déclamer 
Un ghazel d'Hafiz qui veut boire, 
Ou de Djàmi qui veut aimer; 

Il cherchera dans sa pensée, 
Par delà le présent connu. 
Ce que la langue cadencée 
A pour lui de ressouvenu; 

Et ne comprenant rien au rêve 
Qui n'a point d'application. 
Il s'en ira tracer du glaive 
Quelque poème en action I 

04 71^^04^1) TiPT^odVT), 



144 L£ TOMBEAU 



q4 THÉOTHILE GolUTIETl 



Oi la Mort a comblé de nuit et de mystère 
Ta tète merveilleuse, atelier précieux 
Oà chaque vision qui passait par tes yeux 
Venait se colorer de leur vive lumière; 

Elle n'éteindra pas la splendide matière 
Où vivront éternels tes rêves radieux ; 
Dans la gloire éclatante et sereine des Dieux 
Qui, d'un geste de marbre, illuminent la terre, 

Et, les regards fixés devant eux, sans rien voir. 

Insoucieux du temps ne daignent pas savoir 

S'ils reluisent d'en haut dans les ombres du monde, 

L'astre doux et lointain, dédaigneux de la mer 
Qui lave sa clarté palpitante et ^profonde, 
Ignore son reflet dans ce miroir amer. 

LOUIS Xq4*0IE'R,'DE *IOC(iii*H!D. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 145 



/CNC Q^LTIS 






1 u fus répoux de la souveraine beauté : 
Ton œil sut le secret de la forme première, 
Ton àme pénétra Tàme de la lumière, 
Ta lèvre but au lac de la sérénité. 

Semblable aux dieux vainqueurs, tu n'avais pas dompté 
Le cœur de l'Indomptable avec une prière. 
Son amour égalait la tienne. Elle était fière 
De toi d'une fierté pareille à ta fierté. 

Amants loyaux voués aux noces éternelles, 
Vous vous fîtes un lit en repliant vos ailes. 
Valve blanche voguant parmi la mer des cieux. 

Et vous n'eûtes pas même un dédaigneux sourire 
Pour les hommes qui croient connaître et qui croient dire 
Celle dont la splendeur ne veut pas de leurs yeux. 

'9 



146 LE TOMBEAU 



04 THÊOTHILE Gq4UTIE% 



Exegi monamentum sre perennias. 

Hor. 



V^uand après soixante ans de vaillance, d'eâbrts, 
Et de combats, les vieux paladins étaient morts, 
Leur grande armure vide adossée aux murailles, 
Tenant en main Testoc des anciennes batailles. 
Restait debout! — Et tous ces spectres décevants 
Ressuscitaient les morts aux regards des vivants I 

Puis, sous les noirs arceaux des hautes basiliques. 

On couchait leurs corps froids dans les caveaux gothiques, 

Et les sculpteurs, taillant le marbre ou le granit, 

Dressaient ces chevaliers sur leur tombeau bénit, 

Et, tandis que leurs os s'en allaient en poussière. 

Ils revivaient encor dans ces héros de pierre. 

Jusqu'aux siècles futurs, pour passer tout entier, 
Toi, tu n'as pas besoin, ô poëte, ô Gautier, 
Qu'une main, écartant les plis de ton suaire. 
Découvre ton grand front ! ni que le statuaire 
Pétrissant son argile et coulant son airain. 
Élève sous nos yeux ton buste souverain. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 147 

Car tout ton œuvre est là! Drame, Roman, Poëme! — 

En ciselant ton vers, tu t'es sculpté toi-même 

Un monument cent fois plus durable et plus beau 

Que les inscriptions au marbre d'un tombeau ! 

Et tu revis bien mieux qu'aux traits d'une statue. 

Par le Temps mutilée, ou par l'homme abattue, 

Dans ces fils, d'une gloire immortelle vêtus ! 

— Vois ! depuis Sigognac, jusqu'au pâle Albertus, 

Tous sont debout, puissants, acclamés et splendides, 

Et le Temps à leur front ne mettra point de rides ; 

Tu leur donnas la vie ! et tu vivras par eux. 

Et tous diront ton nom à nos petits-neveux! — 

GUSr<AVE li/VEr. 



148 LE TOMBEAU 



^ÉSU^H^ECTIOV^DE Lq4Zq4%E 



v^r, Lazare dormait une éternelle nuit 

Après une longue agonie; 
Pour le rendre à ses sœurs, le Seigneur fut conduit 

Près de sa tombe, en Béthanie: 

Là, les regards levés vers la sainte patrie, 

Ayant frissonné, puis pleuré, 
Une main étendue et d'un ton inspiré, 

Jésus, devant Marthe et Marie, 

Fortement s'écria : Lazare, levez -vous! 
Et de la grotte alors se soulève la pierre, 
Et Lazare, debout, se dresse dans sa bière, 

Et les pharisiens sont tombés à genoux, 

Et du ciel entr'ouvert descendent des archanges 

Qui de l'homme divin célèbrent les louanges. 

S<^LLES. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 149 



q4 THÉOPHILE G(i4UTIE% 



Elle est amère et douce, elle est méchante et bonne. 

fComédie de la MortJ 



Ixegrets, effeuillez-vous au pied de son tombeau; 
Comme une théorie autour d'un marbre antique, 
Douleurs, pleurez en lui Tldéal et le^Beau. 

O rhythmes qu'il aimait, célébrez le cantique 
D'adieu, l'hymne d'hommage et d'immortalité; 
Glorifie, Art serein, le parfait Romantique! 

Nous qui, pour lui, déjà sommes postérité. 
Admirant dans son œuvre une âme encor plus belle. 
Nous garderons au cœur son nom ressuscité. 

Il s'était asservi la nature rebelle; 

On eût dit qu'oubliant l'épreuve avec dédain, 

Son esprit lui créait une fête éternelle, 



i;o LE TOMBEAU 



Et qu'il ne voyait pas, le poëte divin, 

Celle qu'il appelait la méchante et la bonne, 

La Mort se rapprocher pas à pas, et soudain 

Venir lui mettre au front l'étoile et la couronne. 



LOUISQ4 SIEFEIIT 



DE THEOPHILE GAUTIER. 151 



04 THÊOTHILE GoiUTrE% 



o 



Maître, il ne sied pas qu'on l'omette ou Toublie 
Ayant que, par ton art sûr, la rime assouplie, 
Du brasier romantique ardente et rude encor. 
Comme aux doigts d'un vannier, courût en tresses d'or 
Et, se croisant ainsi que des rayons d'étoiles, 
Tendit le ciel nouveau de lumineuses toiles 
Où se prennent nos yeux dans un enchantement; 
Avant que de sertir d'astres le firmament 
Où la Muse reçoit ses esclaves, — nos maîtres, — 
O doux chercheur du Beau qui partout le pénètres, 
Comme un bon ouvrier qui tente avant d'agir, 
Tu fis, sous le pinceau, prendre corps et surgir 
La nudité du Rêve obscur de tes prunelles : 
Et, la voyant pareille aux choses éternelles. 
Digne des cieux où tout est immuable et pur, 
Désertant les couleurs, tu courus à l'azur 
Pour y tailler, en plein infini, ta pensée. 
— Il ne te resta rien de l'épreuve passée 
Que la pitié sereine et douce du réel. 



151 LE TOMBEAU 



Car tu le savais, Toi, que l'Immatériel 
Sur les regards humains n entr'ouvre la paupière 
Qu'à celui qui tenta, sur la toile ou la pierre. 
Si l'image du Beau peut tenir sous son front. 

— Tu savais que, le jour où les dieux tomberont 
Des cadres vermoulus et des piédestaux sombres. 
Sur l'àme des rêveurs se coucheront des ombres 
Et que tout sera dit de ce qui seul était. 

Donc, tous ceux que le mal auguste tourmentait 
D'éveiller les esprits endormis sous les choses. 
De creuser le secret lent des métamorphoses^ 
Fils de Pygmalion perdus sur le chemin. 
S'éclairaient aux rayons de ton art surhumain, 
Jeune dieu qui savais ce que souffrent les hommes I 

— Et, pour leur enseigner que le peu que nous sommes 
Est le germe pourtant d'une inmiortalité, 

De leur propre labeur dégageant la Beauté, 
Au moule d'une langue impérissable et brève. 
Tu coulais, devant eux, l'or vivant de leur rêve 
Et disais : C'est cela que vous avez voulu ! 
Ils ne le savaient bien que lorsqu'ils t'avaient lu. 
Sublime redresseur des choses mal venues. 
Car le spectre divin des Immortelles nues, 
Longtemps avant l'azur où tu fuis loin de nous, 
Habitait dans tes yeux inflexibles et doux. 

— Atlas vainqueur, enfin patient de la Terre, 
Possédant le secret et la cadence austère 

Des formes où revit le souvenir des dieux, 
Dans le rhythme puissant des mots mélodieux, 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 153 

Ta bouche en révélait sans cesse la merveille. 
— O Maître, si tu dors, ton œuvre sacré veille 
Où tout ce qui fut Toi brille comme un flambeau, 
Jeune Dieu, fils de l'Aube et vainqueur du tombeau ! 



•^ 



20 



i;4 LE TOMBEAU 



THÊOTHILE Gq4UTIE%_ 



U 



aître, qui, du grand art levant le pur flambeau, 
Pour consoler la Chair besoigneuse et fragile, 
Rendis sa gloire antique à cette exquise argile, 
Ton corps va di>nc subir l'outrage du tombeau ! 

Ton âme a donc rejoint le somnolent troupeau 
Des ombres sans désirs, où l'attendait Virgile, 
Toi qui, né pour le jour d'où le trépas t'exile. 
Faisais des Voluptés les prêtresses du Beau! 

Ah ! les dieux (si les dieux y peuvent quelque chose) 
Devaient ravir ce corps dans une apothéose. 
D'incorruptible éther l'embaumer pour toujours. 

Et l'àme ! l'envoyer dans la Nature entière. 
Savourer librement, éparse en la matière. 
L'ivresse des couleurs et la paix des contours ! 

SULLY 'P'RVT>HOۉ(ME, 



DE THEOPHILE GAUTIER. lyy 



S OU^T^ET 



(With a COpy Of MADBMOltBttB ob maupin). 



1 his is the golden book of spirit and sensé, 
The holy writ of beauty; hé that wrought 
Made it with dreams and faultless words and thought 

That seeks and finds and loses in the dense 

Dim air of life that beauty 's excellence 

Wherewith love makes one hour of life distraught 
And ail homs aiter fbllow and find not aught. 

Hère is that height of ail love's eminence 

Where man may breathe but for a breathing-space 
And feel his soûl burn as an altar-iire 
To the unknown God of unachieved désire, 

And from the middle mystéry of the place 

Watch lights that break , hear sounds as of a quire , 

But see not twice unveiled the veiled God's face. 



SWI^BVRV^E. 



156 LE TOMBEAU 



SfAESfAO'BjQAL VERSES 

ON THE DEATH 

OF THEOPHILE GAUTIER 



JL^eath, what hast thou to do with me> So saith 
Love, with eyes set against the face of Death; 

What hâve Idone , o thou strong Death , to thee , 
That mine own lips should wither from ûiy breath } 

Though thou be blind as fire or as the sea, 

Why should thy waves and storms make^ war on me } 

Is if for hâte thou hast to find me fair^ 
Or for désire to kiss , if it might be , 

My very mouth of song , and kill me there } 
So with keen rains vexing his crownless hair, 

With bright feet bruised from no delightful way, 
Through darkness and the disenchanted air, 

Lost Love went weeping half a winter's day. 
And the armed wind that smote him seemed to say, 
How shall the dew live when the dawn is fied, 
Or wherefore should the Mayflower outlast May } 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 1^7 

Then Death took Love by the right hand and said, 
Smiling : Corne now and look upon thy dead. 
But Love cast down the glories of his eyes 
And bowed down like a flower his flowerless head. 

And Death spake, saying : What ails thee in such wise, 
Being god , to shut thy sight up from the skies } 
If thou canst see not , hast thou ears to hear > 
Or is thy soûl too as a leaf that dies } • 

Even as he spake with fleshless lips of fear, 
But soft as sleep sings in a tired man's ear, 

Behold , the winter was not , and its might 
Fell , and fruits broke forth of the barren year. 

And upon earth was largess of great light , 

And moving music winged for world-wide flight, 

And shapes and sounds of gods beheld and heard , 
And day's foot set upon the neck of night. 

And with such song the hoUow ways were stirred 
As of a god's heart hidden in a bird , 

Or as the whole soûl of the sun in spring 
Should find ftiU utterance in one flower-soft word , 

And ail the season should break fgrth and sing 
From one âower's lips, in one rose triumphing; 
Such breath and light of song as of a flame 
Made ears and spirits of them that heard it ring. 



•#• 



*T' * ^«t - 



158 L£ TOMBEAU 



And Love beholding knew not for the same 
The shape that led him, nor in face nor name, 

For he was bright and great of thews and fair. 
And in Love's eyes he was not Death but Famé. 

Not that grey ghost whose life is empty and bare 
And his limbs moulded ont of mortal air, 

A cloud of change that shifts into a shower 
And dies and leaves no light for time to wear : 

But a god clothed with his own joy and power. 
A god rerisen out of his mortal hour 

Immortal , king and lord of time and space ^ 
With eyes that look on them as fîrom a tower. 

And where he stood the pale sepulchral place 
Bloomed , as new life might in a bloodless face , 

And were men sorrowing came to seek a tomb 
With funeral flowers and tears for grief and grâce, 

They saw with light as of a world in bloom 
The portai of the House of Famé illume 

The ways of life wherein we toiling tread, 
And watched the darkness as a brand consume. 

And through the gâtes where rule the deathless dead 
The Sound of a n6w singer's soûl was shed 

That sang among his kinsfblk, and a beam 
Shot from thç star on a new ruler's head. 



L 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 159 

A new star lighting the Lethean stream , 
A new song mixed into the song suprême 

Made of ail soûls of singers and their might , 
That makes of life and time and death a dream. 

Thy star, thy song, o soûl that in our sight 
Wast as a sun that made for man's delight 

Flowers and ail fruits in season, being so near 
The sun-god's face, our god that gives us light. 

To him of ail gods that we love or fear 
Thou among ail men by thy name wast dear, 
Dear to the god that gives us spirit of song 
To bind and bum ail hearts of men that hear. 

The god that makes men's words too sweet and strong 
For life or time or death to do them wrong, 
Who sealed with his thy spirit for a sign 
And flUed it with his breath thy whole life long. 

Who made thy moist lips fiery with new wine 
Pressed fiom the grapes of song the sovereign vine , 

And with ail love of ail things loveliest 
Gave thy soûl power to make them more divine. 

That thou might'st breathe upon the breathless rest 
Of oiarble , till the brows and lips and breast 
Feit faâl from off them as a cancel^ed curse 
That q>eechless sleep wherewith they lived opprest. 



]6o LE TOMBEAU 



Who gave thee strength and heat of spirit to pierce 
Ail clouds of form and colour that disperse 

And leave the spirit of beauty to remould 
In types of clean chryselephantine verse. 

Who gave thee words more golden than fine gold 
To carve in shapes more glorious than of old 

And build thy songs up in the sight of time 
As statues set in godhead manifold : 

In sight and scorn of temporal change and clime 
That meet the sun rerisen with refluent rhyme 

As god to god might answer face to face 
From lips whereon the morning strikes sublime. 

Dear to the god , our god who gave thee place 
Among the chosen of days, the royal race, 

The lords of light , whose eyes of old and ears 
Saw even on earth and heard him for a space. 

There are the soûls of those once mortal years 
That wroughtwith fire of.joy and light of tears, 
In words divine as deeds that grew thereof, 
Such music as he swoons with love who hears. 

There are the lives that lighten from above 
Our under lives , the spheral soûls that move 

Through the ancient heaven of song-illumined air 
Whence we that hear them singing die with love. 



DE THEOPHILE GAUTIER. i6t 

There ail the crowned Hellenic heads, and thcre 
The old gods who made men godiike as they were, 

The l/ric lips wherefrom ail songs take fire, 
Live eyes, and light of ApoUonian hair. 

There round the sovereîgn passion of that lyre 
Which the stars hear and tremble with désire, 

The ninefbld light Pierian is made one 
That hère we see divided , and aspire , 

Seeing, afier this or that crown to be won; 
But where they hear thô singing of the sun 

AU fbrm , ail sound , ail colour and ail thought 
Are as one body and soûl in unison. 

There the song sung shines as a picture wrought^ 
The painted mouths sing that on earth say nought, 

The caryen limbs hâve sensé of blood and growth 
And large -eyedlife that seeks nor lacks not aught. 

There ail the music of thy living mouth 
Lives, and ail loves wrought of thine hand in youth 
And bound about the breasts and brows with gold 
And coloured pale or dusk from north or south. 

Fair living things made to thy will of old, 
Born of thy lips, no births of mortal mould, 

That in the world of song about thee wait 
Where thought and triith are one and manifold. 

ai 



i6a LE TOMBEAU 

Within th€ graven lintels of the gâte 
That hère divides our vision and our fate, 

The dreams we walk in and the truths of sleep , 
AU sensé and spirit hâve life insepiarate. 

There what one thinks, is his to grasp and keep; 
There are no dreams, but very joys to reap» 
No foiled desires that die befcMre delight. 
No fears to see across our joys and weep. 

There hast thou ail thy will of thought and sight, 
Aïl hope for harvest, and ail heaven for flight; 

The sunrise of whose golden -mouthed glad head 
To paler songless ghosts vas heat and light. 

Hère where the sunset of our year is red 
Men think of thee as of the sumœer dead , 

Gone forth before the snows , before thy day, 
With unshod feet, with brows unchapleted. 

Couldst thou not wait till âge had wound, ihey say^ 
Round those wreathed brows his soft white blossocn$> Nay, 
Why shouldst thou vex thy soûl with this harsh air, 
Thy bright-winged soûl, once free to takç ils way? 

Nor for men's révérence hadst thou need to weaf 
The holy flôwer of grey tîme-hallowcd hair; 

Nor were it fit that aught of thee grew old , 
Fair lover ail thy da3rs of ail things fair. 



DR THÉOPHILE GAUTIER. i6) 

And hear we not thy vords of molten gold 
Singing> or is theïr light and heat acoM 

Whereal men warmed their spirils ? Nay, for ail 
Thèse yet are with us, ours to hear. and hold. 

The lovely laughter, the clear tears, the call 
Of love to love on ways where shadows fall, 

Through doors of dim division and disguise, 
And music made of doubts unmusical ; 

The love that caught sirange light from death's own ejres, 
And tîlled death's lips with ûery words and sighs, 

And half asleep let feed from veins of his 
Her close red warm snake's mouth, Egyptian-wise; 

And that great night of love more strange than ihis , 
When she that made the whole vorld's baie and bliss 

Made king of the whole world's désire a slave, 
And killed him in mid kingdom with a kiss ; 

Veiled loves that shifted shapes and shafts , and gave , 
Laughing, strange gifts to hands that durst not crave, 

Flowers double-blossomed, fruits of scent and hue 
Sweet as the bride-bed, stranger ihan the grave; 

Ail joys and vonders of old lives and new 
That ever in love's shtne or shadow grew, 

And ail the grief whereofhe dreams and grieves, 
And ail sweet roots fed on his light and dew ; 



i64 LE TOMBEAU 



AU thèse through thee our spirît of sensé perceives, 
As threads in the iinseen woof thy music weaves, 

Birds caught and snared that fill our cars wîth thee, 
Bay-blossoms in thy wreath of brow-bound leaves. 

Mixed wîth the masque of death's old comedy 
Though thou too pàss, hâve hère our flowers, that we 

For ail the flowers thou gav'st upon thee shed, 
And pass not crownless to Persephone. 

Blue lotus -blooms and white and rosy-red 
We wind with poppies for thy silent head , 

And on this margin of thô sundering sea 
Leave thy sweet light to rise upon the dead. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 165 



O^DE 



vJuelle fleur, ô mort, quel joyau, quel chant, 
Quel vent, quel rayon de soleil couchant, 
Sur ton front penché, sur ta main avide. 
Sur ràpre pâleur de ta lèvre aride, 

Vibre encore et luit? 
Ton sein est sans lait, ton oreille est vide. 

Ton œil fait de nuit. 

Ta bouche est sans souffle et ton front sans ride ; 
Mais l'éclair voilé d'une flamme humide. 
Flamme éclose au cœur d'un ciel pluvieux, 
Rallumé ta lèvre et remplit tes yeux 

De lueurs d'opale ; 
Ta bouche est vermeille et ton front joyeux, 

O toi qui fus pâle. 

Comme aux jours divins la mère des dieux, 
Reine au sein fécond, au corps radieux. 
Tu surgis au bord de la tombe amère ; 



IP 



i66 LE TOMBEAU 



Tu nous apparais, ô Mort, vierge et mère, 
Effroi des humains, 

Le divin laurier sur la tète altière 
Et la lyre aux mains. 

Nous reconnaissons, courbés sur la terre. 

Que c'est la splendeur de ta face austère 
f Qui dore la nuit de nos longs malheurs; 

Que la vie ailée aux mille couleurs, 
I Dont tu n'es que Tâme, 

Refait par tes mains les cieux et les fleurs, 

' La rose et la femme. 

I 

! 

Lune constante I astre ami des douleurs 
Qui luis à travers la brume des pleurs! 
Quelle flamme au fond de ta clarté molle 
Éclate et rougit, nouvelle auréole. 

Ton doux front voilé ? 
Quelle étoile, ouvrant ses ailes, s'envole 
! Du ciel étoile? 



Pleurant ce rayon de jour qu'on lui vole, 
L'homme exècre en vain la mort triste et folle ; 
Mais Tastre qui fut à nos yeux si beau 
Là-haut, loin d'ici, dans un ciel nouveau 

Plein d'autres étoiles. 
Se lève, et pour lui la nuit du tombeau 
Entr'ouvre ses voiles. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 167 

L'âme est dans le corps comme un jeune oiseau 
Dont Taile s'agite au bord du berceau ; 
La port, déliant cette aile inquiète, 
Quand nous écoutons la bouche muette 

Qui nous dit adieu, 
Fait de Thomme infime et sombre un poëte, 
Du poëte un dieu. 



i68 LE TOMBEAU 



SOT^^ET 



P 



our mettre une couronne au front d'une chanson. 
Il semblait qu'en passant son pied semât des roses, 
Et que sa main cueillit comme des fleurs écloses 
Les étoiles au fond du ciel en floraison. 

Sa parole de marbre et d'or avait le son 
Des clairons de Tété chassant les jours moroses; 
Comme en Thrace Apollon banni des grands ci eux roses, 
Il regardait du cœur TOlympe, sa maison. 

Le soleil fut pour lui le soleil du vieux monde, 
Et son œil recherchait dans les flots embrasés 
Le sillon immortel d'oii s'élança sur l'onde 

Vénus, que la mer molle enivrait de baisers ; 
Enfin, Dieu ressaisi de sa splendeur première, 
Il trône, et son sépulcre est bâti de lumière. 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 169 



/SNC O'BITUm THEOTHIU 



VOE^M CLQA*BJSSimi 



o 



lux Pieridum et laurîgeri deliciae dei, 
Vox leni Zephyro lenior, ut verîs amans novi 
ToUit floridulis implicitum primitiis caput, 
Ten' ergo abripuit non rediturum, ut redeunt novo 
Flores vere novi, te quoqne mors irrevocabilem? 
Cur vatem neque te Musa parens, te neque Gratias, 
Nec servare sîbi te potuit fidum animi Venus? 
QuaB nunc ipsa magis vel puero te Cinyreïo, 
Te desiderium et flebilibus lumen amoribus 
Amissum queritur, sanguineis fusa comam gaenis. 
Tantis tu lacrymis digne, cornes dulcis ApoUini, 
Carum nomen eris dis superis atque sodalibus 
Nobis, quis eadem quas tibi vivo patuit via 
Non squis patet, at te sequimur passibus haud tuis, 
At mœsto cinerem carminé non illacr/mabilem 
Tristesque exuvias floribus ac fletibus integris 
Unà contegimus, nec citharà nec sine tibia, 
Votoque unanimas vocis Ave dicimus et Vale. 



SWIO^'BU'HSNiE 

22 



170 LE TOMBEAU 



EIlirPAMMATA EIIITTMBIAIA 



£12 e£04»IA0N. 



I. 



Uousi Oaotç içœrttùç 8i Oeô fiXov av^pa Aux£i<^ 
<ùç >éov ovT* iTU|Mi»ç ùvo[i.aff6CV Xocpireç. 



II. 



Tu|i6ov axatpo^ ^X®^ ouvo(jl' aOaicrov ïj^ci, 
oîlfvo[jL' aOtxToV âel Oavatou xal àTpu(JLOva ti(it|i> 

i^^ueiniç Mouffatç i^^uOpootç OepaTriûv^ 
nv itot' iiro)vu[i.(aç X«pw eîyé 6eô fiXoç €') y? 

TTfvie Oav&v ct' ey ei Wprepoç év f Oipiivotc, 
nep(rs(pov7i t' 'Ai^ti re Oeâ f tXoç ' Où^è y^p ttX>«iV 

ouTiç âoi^oTToXoDV Tou^' ùic^pe^ys (liXei, 
où^à Xupa ouvéïcXe^e Xoyouç iQ^iovt ^ud|iû 

Tfpj^voov Tepicv(oç Kui^iv s}7aoro(ievoç. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 171 

*H (JiÊV Ka^^ioTHîç àp' eçu yivoç, ri ^' A.<ppo^iTYiç , 

Toiov oç û[x.vo6eT(âv oùXov expe^e vojjioiç. 
El ^' en Toîç cG^ou^i wavucTaTov èv jrôovôç opçvTÎ 

VICVOV eveaTi çiXwv y) tcoÔoç yi ti X*P^Ç; 

oL '^o^ai £X Mou(7o>v <rré[ii[iE.aTa ÂeÇa[ii.evoi 
Cjjtvov èwaoovTai Çevtov (ru(x.TCavTeç âoi^oi 

xai icpoaepoGat ic^Jou irpoÇevov 'HXudiou' 
Xaipeiv aÙTOfAotT/i J'otci (jiei^riaaîTa xe^eucei 

Hepore^ovY) Mouoraiç |iiouoro77(^oiç re fi>.Y], 



III. 

K^iOt yocov, KuO^peta, (fiko^Ljxei^f'^ç içtÇy ccoi^ou 

ot)(^o|jL8vou, di) î' Épwç at>.ivov etiwè Ôeoç. 
navToJaircov yàp iJcov (/.opçyjv eçtXcoaev 'EpwTwv, 

TCovTO^ éirc(rTa[/.evoç, •7ra<ji J* expouce X,^^^^> 
luacri ^' èiriaïueiaaç yXujtuv oîvov îXeiçev âoi^Yiç, 

iracri (Tuvap[jLo^(ov 7rotx,i>.oy7)puv oTra, 
Kuxpiîoç ex Biadcov iva (jlyÎ ti ttoOsivov àiuetif}. 

Oùî' èr' airedTi • 0avct)v yàp (pt>.oç ecTi 6ea. 
Hoi^a J' eO' "jQjiitYuvaixa Oeaç Idéêi^e xat ÈpjJiou, 

â[jL(pi6a>.erç 'n:>.o)ca[/xt)v â[JE.f iÇa>.à>v erre^pocvouç. 
Hacvra î* èç' îjjiepoevTa yL&kn "kli:* ej^pwev eXaico 

tJJuiuvoo), Si^u[/.oiç îtccov £p(o(7i yavoç 
'hfjjMiû Ji(p'JevTi S^iiu^riv X^P^'^ Èp(/.açpoîiT<d 

T^opQevoxp^TOç èpcov etxovoç flc(i<piX>.(>YOu. 



172 LE TOMBEAU 



IV. 



luiCTTOv éçu(/.vouoai TradtçiXov te Ôso^, 
oç vuv wawuytov ôavotTOu Jrj Tep^j^w laucav 

xoiTOV avu[JLÇov ej^ei yriç ùtco -Trai^oêopou, 
TauTaiç 5* w j^apireç (juyxXaiCTC • Ttç yocp ér' ovTCdv 

TOto; év ûfJLeTépotç jcukvoç lirt Je X^P^^^ » 
ex ^è Toupou OocX'Xoi ^o^a '^oixiXa [jLouaof i>7)tou 

Xeipia $* ixBpciaxoi, icàv ^' içu'^epOe xpivov, 
Xeuxoïov TE xaXov cùv ïoidi (it.eXotv6ecri p^àoroi. 

Kai iroXùç olvoTpo^v ^ocTpuyoç â(ji.'^6^i ^(ov 
xai yXuxùv ■jQfi.epiJoç xXà^ov oivacvOyiv te rlpeivav 

yata rpeçoi, (JiupTOU ^' îpvea xuirpoyevouç, 
Ooiêou 6* ui{>ixo(JLOv ^a(pV7)v, xteraou Te xopù|i6ouç, 

TToevra 6' ^a* u[jL77oOlTaiç avOijiLa ^ûpa irpéirei. 



V. 



^O Oeû f iX' 'A.ir(^Xcovt9 Oeûv f t^rocTe fiXTocTCf), 
lueiOou; {(iiepo^aora^ t£xvov, ti 9* Eù^ouviqç ^pa^o); 
xap^iaç ye ireJrfaaç eir^cov xpu^io^e'Twv ir^^aiç 
dcXXcâv, G^jv ^s xo[AY)v niepi^cdv ^Y]<ra[Aevoç luXt^xoiç, 
vCfv ^7) irauojjtevoç repiçvoTaTYiç èv |3iot({> Wpaç 
euoioç, à[jiêpo(iiav injAiv ocei [JLVY)pLO(rjVY)v Xiiçcov. 



DE THEOPHILE GAUTIER. 173 



/c\; ^Emo%iQAm 



\^ poëte amoureux des formes lumineuses, 
O Maître, si j'avais en ce siècle bourgeois 
A bâtir pour ta cendre un tombeau de mon choix, 
Tu ne dormirais pas dans nos villes haineuses. 

Ta tombe fleurirait aux pentes gazonneuses 
Des forêts de TArdenne, où Shakspeare autrefois^ 
Sous la voûte sonore et verte des grands bois. 
Faisait rire et chanter de blanches promeneuses. 

Rosalinde y viendrait ; Jacque, assis au revers 
Du monument semé d'anémones pâlies. 
Exhalerait sa verve et ses mélancolies; 

Et doucement, Tair bleu, le soleil, les beaux vers, 
Traversant l'épaisseur de la ramure altière. 
Iraient vers toi, qui fus chant, couleur et lumière. 



174 LE TOMBEAU 



c^ THÉOTHILE G(yiUTIE% 



1 oi qu'on disait | Vtiste ardent mais Thomme (ièdç, 
Le rimeur égoïste et sourd à tous nos cris, 
Le jour où rAUemagne assiégea ce Paris 
Haï des nations parce qu'il les précède, 

Quand, sachant que Paris difficilement cède 
Et que, criblé, haché, broyé sous les débris^ 
Les obus n'obtiendraient de lui que son mépris, 
L'Allemagne appela la famine à son. aide, 

Quand plusieurs étaient pris du goût de voy^er, 
Toi qui dans ce moment étais à l'étranger, 
Chez des amis, avec une ifille chérie, 

Dans up libre pays, au bord d'un lac divin, 
Pouvant vivre tranquille et manger à ta faim? 
Tu choisis de venir mourir pour la Patrie, 

<!4UGUS7E VadCQUETUE 



DE THÉOPHILE GAUTIER. 175 



THÊOTHILE Cq4UTIEK^ 



V^omme un roi d'Orient, grave, dès le matin 
De son avènement songe à la sépulture^ 
Et fait, par des milliers de sujets qu'il torture, 
Dresser dans Tair torride un monument hautain. 

Le poëte, artisan d'un plus royal destin, 
Dès l'aube s'assurant contre la nuit future. 
Longtemps dompta le rh/thme; et sa volonté dure 
Ploya les mots ainsi qu'un grand peuple mutin. 

Maintenant que ces yeux sont clos à la lumière. 

Son âme a retrouvé la fète coutumière 

Des midis aveuglants et du grand jour vermeil ; 

Echappée aux caveaux où pleure l'ombre humide, 
Elle habite à jamais son œuvre, Pyramide 
Blanche parmi Taeur inondé de soleil. 

LÊO^ VQ4L<i4DE 



r 



176 LE TOMBEAU DE! THEOPHILE GAUTIER. 



qA THÉOTHILE Gq4UTIE% 



O'il est, par delà le tombeau, 
Une pelouse diaprée 
Où les morts amoureux du Beau 
Devisent, sur Therbe empourprée ; 

Si Tesprit gui tint le flambeau 
De l'inspiration sacrée 
Conserve en ces lieux un lambeau 
De sa science vénérée ; 

Des msutres du rhythme puissant, 
De la cadence et de Taccent, 
Dont le front conquit Tauréole, 

Théophile, c'est ta parole 

Qui se fait le mieux écouter 

Sur Tart de peindre et de chanter. 



'OoâLE'R.Y VETt(P^IEŒ(. 



TcA'BLE 



pAges. 

Victor Hugo. — A Théophile Gautier i 

Jban Aicako. — La Nature chez elle $ 

Paul AuèNE. — Pierrot, sur la Tombe de Théophile Gautier, apporte 

•00 hommage funèbre B 

Akmano d'Artois. — Théophile Gautier, critique dr&-..atique. . . . lo 

Tbodor Aubanbl. — La Coumèdi de la Mort ii 

). AuTBAN. — A Théophile Gautier la 

Th^odobb de Bantilib. — Let Mutes au Tombeau ij 

— — — RessouYenir i8 

LuDwio Bbrbdictub. — Neue Légende ai 

Émiib Bbbobaat. — L'Enaevelissement atf 

A. M. Blanckbcottb. — Souvenir du vingt-cinq octobre )o 

Émilb Bl^momt. — Stancet ja 

WiiLiAM Bonapabtb-Wtsb. — Sounet j^ 

Gboaobs Boutbllbav. -^ Vingt-cinq octobre J5 

A&FABD Butq.uBT. — A Théophile Gautier }6 

H. Cabalis. -^ Métempsycoses 37 

Auguste de Cratiiion. — Amicus amico 59 

L^oii C1.ADBL. -^ Au Mort 40 

JuLBt CiAABTiB. — Théophile Gautier 41 

LouisB Cor ET. — Théophile Gautier à Ismaïlia 4a 

PAAMçoit CoppiEB. — Théophile Gautier, élégiaqne 41 

E. CoBBA. — A Théophile Gautier 46 

AtBXARDAB CotiiABD. — QuBttd il était écoIler 47 

CHABtEt Caos. —Morale 48 

*3 



178 TABLE. 



Page*. 

G. Dakoertt. — A Théophile Gautier ^ 

Paul Dblaik. — L'Art 50 

Frospbk Delamaae. •— La Comédie de la Mort 51 

Pav£ Dbment. — Palette magique 5a 

LiON DiBEZ. — Salut funèbre 53 

FaiDéaic Diliatb. — Une larme de Giselle. . 56 

Camillb Doucet. — Il n'est pas mort $8 

H. DuNBSMB. — Vox hnmilis 59 

PiBaaE ELz^Aa. — Le Bûcher 60 

Alfaed des EitAETt. — Théophile GautiST tfa 

Emmanuel dbb Essarts. — Vir 6} 

Paul Fbrkibr. — A Théophile Gautier tf^ 

Élie FouRfts. — A Théophile Gautier 67 

Anatole France. — An Poëte 68 

FiLix Frank. ^ Le Magicien 70 

Emmanuel Glasbr. — Ave, immortalis, moriturus te salutat. ... ji 

Albbrt Glationt. — Les funérailles de Théophile Gautier 7a 

O* F. DE Grammont. — A Théophile Gautier. .•«....... 75 

LioN Grandet. — A Théophile Gautier 76 

FéLit Gras. — A Teoufile Gautié 79 

Luioi GuALDO. — Teofilo Gautier. 81 

Joté-MARiA DE Herbdia. — Monument. 8^ 

Ernest d'Hbrtillt. — Au Mattre de Childebrand 86 

ARtftNB HouttATE. — Devant un Portrait de Théophile Gantier. . 88 

Jules Janin. — La Mort de Daphnis 90 

Ckarles Jolibt. — A Théophile Gautier. .93 

Louis Judicis.— Sonnet. . 9% 

Auguste Lacaussade. — A Théophile Gautier 96 

Georces Lafbnbstrb. — A Théophile Gautier 99 

Lbconte de lislb. — A Théophile Gautier loa 

LéopOLD Lalut<. — A Théophile Gautier io| 

Andr< LBFèvRB. — La Pierre du Tombeau 105 

— — La Crypte 106 

Ernest Legout^. — A Théophile Gautier. . 108 

STipHANE Mallarmé. — Toast funèbre 109 

EucàNB Manuel. — Le mal du Poète. ii9 

Gabriel Marc. — L'Auvergne au Tombeau de Gautier 116 

Catulle Mend^s. — Épitaphe 119 

Albert M£rat. — A Théophile Gautier lao 

F. Mistral. — Sus la Mort de Gautié lai 



oaMiim. — A Tbéopbilc Gautier la* 

II. — Epiuphs 11^ 

THi. — A Fanerai long for Thcophjle Gantier iij 

— Od ii8 

la. — A Thtopbile Gautier i]i 

>«a PiED*aitKi. — Risurreclion i)} 

FiaEon. — A Thiopbile Gautier i}4 

■ G pLaïaii. — Le Triomphe de la Mort ij^ 

aTiiBomia. — Sur la Tombe de Théophile Gaalier i^o 

Aviia Da RiciKD. — A Théophile Gautier 144 

i RiRDAi. — la aiti» 14S 

I RiviT. — A Théophile Gantier. 141I 

— Rtanrreclioo de Laiare ifS 

SiiiiKT. — A Théophile Gtader 1*9 

SiiTKiTKE. — A Théophile Gantier ijl 

■ hdhommb. — Théophile Gantier 'H 

■ ■a. — Sonnet lH 

— Mémorial Tenta on Ihe dealh of Théophile Gantier. . i]6 

— Ode ■«» 

— Sonnet >«B 

— In obitum Theophlli, poêla clariHimi 11S9 

— 'EniTpit'Iisni litiTuiiCUia it; 8eoftl«v 170 

t VAeq.niKii, — A Théophile Gautier ' . . 17* 

aiADa. — Théophile GuDtier 171 

ViKRiaa,. — A Théophile Gautier i7<S 




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